Les Lois absurdes dans le métier d’IOBSP

Cela fait plusieurs années que j’avais envie d’écrire mes réflexions au sujet de certains points qui restent des énigmes et que je range dans le panier des Lois que je qualifie d’absurdes. Le titre est journalistique, car en réalité, je devrais plutôt parler de dispositions ou de réglementation absurdes, mais cela n’enlève rien à certains textes qui édictent des interdictions, des incompatibilités ou, au contraire, qui érigent des exceptions qui posent question. Bien entendu, ceux qui bénéficient des ces “bizarreries” juridiques et de ces exceptions, nous expliqueront avec ferveur les raisons de leur existence, mais aussi et surtout l’impérieuse nécessité de maintenir ce système. 

Première disposition absurde : l’interdiction du cumul des catégories IOBSP.

posée par l’article R519-4 (II) du code monétaire et financier, que je reproduis ci-après :  

“II. – Une même personne ne peut cumuler l’exercice de l’activité d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement au titre de plusieurs catégories mentionnées au I du présent article que pour la réalisation ou la fourniture d’opérations de banque de nature différente ou la fourniture de services de paiement.”

C’est cet article qui énumère les 4 catégories d’IOBSP, en son premier paragraphe, et qui explique en son second, qu’il n’est pas possible d’avoir 2 statuts pour un même produit. Concrètement, vous ne pouvez pas être MNE et MIOB en regroupement de crédits, et de la même manière, vous ne pouvez pas être courtier et MIOB en crédit immobilier. Je n’ai jamais compris pourquoi le législateur refuserait cela. Ce que j’en vois, ce sont encore les effets des contournements qui sont visibles et qui ont façonné le monde de l’intermédiation. C’est le renforcement de la différence entre le courtier d’une part, indépendant, supervisé directement par l’ACPR au départ, et aujourd’hui en partie par l’une des 8 associations agréées par elle, et les Mandataires de banques, d’autre part, qu’ils soient exclusifs ou non (les ME et les MNE) et qui sont supervisés par leurs mandants (les banques). A l’image des assurances, on essaye de créer des courtiers et des agents généraux, car il y a encore un but, qui n’a été révélé qu’à quelques “chanceux” des milieux parisiens, mais le marché n’est pas encore mûr pour cela. Il faut constamment naviguer entre deux eaux et être prudent. Pour ceux qui ont lu le portrait dans le numéro du mois de février, il y a été évoqué l’IOB universel. Voici un concept intéressant pour les banques, qui pourraient alors avoir un réseau d’agents en transformant quelques-uns de leurs mandataires (ME et MNE). 

Quid des MNE ? On en a fait des PS2E, des Prestataires de Service Essentiels Externalisés. Disons que ce sont des sous-traitants des banques, un hybride entre IOBSP et Banque. Aujourd’hui ces PS2E proposent d’ailleurs à des IOBSP, qui deviennent MIOB, les mêmes avantages que d’être mandatés en direct avec une banque, avec une série de services en plus, des sur-commissions, etc., mais le désavantage, on le verra dans le second point, de rester MIOB et mono produit. C’est ici que l’interdiction de cumul est intéressante. Par hypothèse, vous êtes MNE en regroupement de crédits et vous n’êtes pas mandaté par toutes les banques de la place. Vous devriez pouvoir appeler un confrère ou un réseau, pour passer un dossier qui ne passerait que dans une des banques avec laquelle vous n’êtes pas en relation. Eh bien non ! C’est interdit car ainsi vous deviendriez de fait MIOB et MNE en regroupement de crédits, et vous violeriez la Loi du non cumul des catégories pour un même produit. En conséquence, lassé de voir vos dossiers partir chez un confrère, vous deviendriez son MIOB. 

La Loi ne fait pas bien la distinction au sein des MIOB, mais juridiquement, elle existe, car le mandataire hérite du statut de son mandant. Ainsi, on le sait, un MIOB de courtier travaille avec un mandat de recherche de capitaux, ou en conseil indépendant en prêt immobilier, tandis que le MIOB de mandataire travaille avec une convention de rémunération. 

Le marché du crédit intermédié s’est scindé en 2 : il est d’usage que le courtage soit dédié au prêt immobilier, tandis que le regroupement de crédits, taxé parfois de micro-niche, soit exercé par des MNE. Les ME font largement du crédit à la consommation. 

Aujourd’hui, un courtier en prêt immobilier, ne peut pas être également courtier en regroupement de crédits. Il est obligé de devenir MIOB ou de créer une autre entité juridique. 

Exception de taille : le prêt professionnel

le cumul est possible car ce type de prêt n’est pas (encore) envisagé par l’article R519-4 II du code monétaire et financier. 

Les statuts ne posent pas de problème, et la Loi en France peut tout ! Libérons l’intermédiation de crédit et laissons les IOBSP distribuer les produits qu’ils veulent sous la forme qu’ils souhaitent.

L’interdiction faite à un MIOB de développer son propre réseau de mandataires.

La seconde disposition que je n’ai jamais compris sur le plan de l’ordre public est l’interdiction faite à un MIOB de développer son propre réseau de mandataires. On trouve cette interdiction dans la seconde partie de l’article L519-2 du code monétaire et financier, que je vous livre : 

Une opération conclue dans le cadre de l’une des activités mentionnées au présent article ne peut être entremise de manière consécutive par :

1° Soit plus de deux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ; (…)”

Les raisons invoquées sont diverses, et notamment, que cela vise à clarifier les rôles, les responsabilités et les obligations des différents acteurs du marché, y compris les intermédiaires (IOBSP) et leurs mandataires. L’une des intentions de cette réglementation est d’assurer une supervision et un contrôle adéquats de ces activités pour protéger les consommateurs et maintenir l’intégrité du marché financier.

L’interdiction pour un mandataire d’intermédiaire de crédit de développer son propre réseau de mandataires sous sa propre autorité est donc une mesure de contrôle visant à prévenir la complexification excessive des chaînes de responsabilité et à garantir que chaque acteur opérant dans le secteur de l’intermédiation de crédit soit dûment autorisé, formé et supervisé conformément aux exigences réglementaires. Pour mener à bien ce but, la Loi est venue réformer en 2022 la formation des IOBSP et a permis à un IOBSP d’être formé par un autre IOBSP. Etrange, me direz-vous ? Sauf si vous avez des MIOB. Les superviseurs deviennent les formateurs… Ce genre de disposition me fait toujours le même effet. C’est  comme si les auto-écoles étaient autorisées à faire passer l’examen du permis de conduire. J’étais bien sûr contre cette pratique, mais il fallait lâcher du lest m’a-t-on dit à l’époque. 

Cette mesure aide également à maintenir une transparence et une traçabilité des opérations d’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, facilitant ainsi la protection des consommateurs et la prévention de la fraude. “Dont acte !” 

Je ne suis pas convaincu des raisons avancées, car aujourd’hui, avec l’informatique, la traçabilité d’un dossier de crédit serait tout à fait possible. On aurait pu tout aussi bien inventer un système pour en tracer l’origine comme un code barre unique par exemple ! 

On arrive bien à tracer l’origine des denrées alimentaires, pourquoi pas celle d’un dossier de crédit ? 

L’effet d’une telle disposition est d’avoir inventé un échelon entre la banque et l’IOBSP qu’on appelle le “packageur”, “le franchiseur”, ou autre “courtier grossiste”. 

Cela était-il voulu ? En tout cas, je me souviens des échanges entre le ministère des finances et les associations de professionnelles au moment de la rédaction de ces textes, et en une nuit, ils ont pondu cette incongruité. 

Venait-elle en rescousse à un business model devenu illégal par l’apparition du code monétaire et financier et d’un droit spécial dédié à l’intermédiation de crédit ? 

Je m’explique ; il existe en droit le principe de spécialité qui dit que s’il existe un droit spécifique régissant une matière, on appliquera ce droit en priorité en lieu et place du droit commun. Or à l’époque, le statut de l’IOBSP n’existait pas, et celui de MIOB non plus ! J’ai moi-même été menacé de “démandatement” par “un partenaire” bancaire en 2005 car j’essayais de développer un réseau de mandataires, et cela était interdit ; par qui, je me le demande encore ! 

Il existait cependant des “mandataires” mais sous des formes qui feraient pâlir aujourd’hui, et notamment on comptait des agents commerciaux en crédit. Or un agent commercial est du ressort du droit commercial, tandis que l’avènement du code monétaire et financier faisait passer  l’intermédiation de crédit dans le domaine du code monétaire et financier. Incompatibilité, et donc solution. Les mandataires obtiennent un statut. Depuis, tout a été essayé pour que ces MIOB soient des “salariés déguisés” sans l’être. On essaye tous les subterfuges pour les attirer et les faire rester. 

Qu’un MIOB développe son réseau ? Et quoi encore ? Et s’il devient plus gros que son mandant, “les partenaires” bancaires pourraient vouloir travailler en direct avec ce dernier. On va donc trouver un moyen de le limiter dans son développement et lui imposer qu’il ne pourra pas à son tour développer son réseau de mandataires. Pour conforter cela, les banques ont “démandaté” à tour de bras les “petits IOBSP” qui n’avaient finalement nul autre choix que de se tourner vers le statut de MIOB. Vive la liberté d’entreprendre ! J’apporte une petite nuance à mes propos : le MIOB peut développer un réseau d’indicateurs d’affaires. Grandes discussions en perspectives sur ce sujet. 

Mais là où le mécanisme est bloquant et force les IOBSP à transgresser la Loi, c’est au niveau des réseaux. Prenons par exemple un réseau de courtage en prêt immobilier. Le courtier est en haut du maillage, que l’on appelle souvent “la tête de réseau”, et ses MIOB sont sur le territoire. Ce réseau n’a pas de solution en regroupement de crédits, mais il y a des demandes. Le courtier peut devenir MIOB d’un IOBPS en regroupement de crédit. Il ne peut pas devenir MIOB d’un MIOB en regroupement de crédits, on le sait. Mais les MIOB de ce courtier ne pourront pas non plus à leur tour être mandatés en regroupement de crédits par l’entremise de leur tête de réseau et cela à 2 titres : on ne peut pas avoir 3 intermédiaires entre la banque et le client, et on ne peut pas être MIOB et MIOB. Du coup, il reste comme solution l’indication d’affaires via la tête de réseau et des commissions d’apport d’affaires qui circulent. On peut se poser la question de l’indépendance du MIOB finalement. 

3ème bizarrerie : le devoir de conseil en crédit. 

Cette obligation ne pèse que sur le courtier et ses MIOB. Donc cela signifie qu’une banque et ses mandataires (ME et MNE) ne sont pas soumis à une obligation de conseil, mais uniquement de mise en garde. Pour moi, il y a une rupture du pied d’égalité car voici 3 catégories d’IOBSP qui ne travaillent pas dans les mêmes conditions. Certains diront que c’est pour cela qu’on a créé des catégories.

4ème “OVNI” : les durées des formations continues.

vous savez que j’ai l’humour caustique, les durées des formations continues. Pour ceux qui l’ignorent encore, en matière de crédit, il n’y a plus de durée légale minimum. Il n’y pas de consensus entre les associations professionnelles agréées, et on dirait bien que l’ACPR attend que “ça s’autorégule”. 

L’enjeu est de taille et il s’agira de la première “soft law” de ces associations professionnelles agréées.

Soft law”, expression euro-bruxelloise, pour qualifier une norme contraignante, dont la portée juridique est discutée, et qui n’émane pas du Peuple. Il s’agira ici de laisser en place un étalon de 7 heures, mais en prime, quelques heures de formation complémentaires seront requises par produit supplémentaire distribué par l’IOBSP. 

Pour ceux qui râlent chaque année, je nomme : les 15 heures en assurance. Il est absurde de maintenir un tel niveau de durée pour des professionnels qui exercent l’intermédiation d’assurance seulement sur un ou deux produits d’assurance. Il faudrait envisager cela sous l’angle des familles de produits d’assurance qui existent déjà : assurance de personne, prévoyance-santé, risques divers, et assurance-vie. Concrètement, le dirigeant, les cadres et les salariés assujettis d’une entreprise IOBSP qui distribue du crédit immobilier, du regroupement de crédits et propose de l’assurance emprunteur devront réaliser 25 heures de formation annuelle ! En tant que formateur, ce n’est pas sans me déplaire, mais je reste réaliste, et professionnel. 

C’est beaucoup trop ! 

Il reste à se poser les questions suivantes sur d’autres normes tout aussi bizarres : 

  • Pourquoi un niveau 2-IOBSP pour un MIOB en immobilier à titre accessoire ? 
  • Pourquoi la barrière de 60% d’immobilier dans le regroupement de crédits pour choisir quel droit et quel taux d’usure est applicable ?  
  • Pourquoi a-t-on créé des associations professionnelles pour obtenir une délégation de l’ACPR alors qu’on aurait pu créer un service au sein de l’ACPR ou grossir les rangs de l’ORIAS ? 
  • Pourquoi un agrément d’association et pas un contrat de sous-traitance avec un acteur économique ? 
  • A quand la 9ème association agréée ? 

Je vous laisse à vos réflexions, et serais ravi d’en discuter.

Jérôme CUSANNO

Directeur de l’iepb.

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