Trop d’armure, pas assez d’épée : quand la réglementation manque sa cible, face aux arnaques au crédit. 

Depuis le début de 2024, les arnaques au crédit immobilier et au crédit en général connaissent une recrudescence inquiétante, avec des préjudices dépassant un milliard d’euros en France. Ces fraudes reposent principalement sur des usurpations d’identité, touchant à la fois les banques mais aussi les courtiers en crédit comme vous avez pu le lire dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Les escrocs se font passer pour des intermédiaires financiers ou des établissements bancaires afin de soutirer de l’argent aux candidats à un emprunt, souvent en leur proposant des taux de crédit très attractifs qui sont en réalité bien en dessous du marché actuel.

L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a émis plusieurs alertes à ce sujet, soulignant que les victimes sont fréquemment attirées par des publicités sur les réseaux sociaux ou des sites de comparateurs de crédit falsifiés. Une fois les coordonnées transmises, les escrocs prennent contact avec leurs cibles, prétendant représenter des institutions financières légitimes. Ils demandent alors le versement de sommes importantes, telles que l’apport personnel des emprunteurs, sur des comptes frauduleux, et disparaissent ensuite sans laisser de trace

Un exemple notable est celui de Victoria et Romain, un couple du Nord de la France, qui a perdu 26 000 euros après avoir été séduits par une offre de prêt immobilier à 2,2%, bien en dessous des taux du marché (environ 4% à ce moment-là). Les escrocs se sont fait passer pour des conseillers d’une banque légitime, rendant l’arnaque d’autant plus crédible. 

Toujours un peu plus pour les professionnels.

Malgré une réglementation de plus en plus stricte encadrant les courtiers et les banques, les fraudes continuent de proliférer. Les intermédiaires de crédit sont pourtant soumis à des obligations réglementaires particulièrement lourdes, incluant l’enregistrement obligatoire à l’ORIAS et l’adhésion à une association professionnelle agréée, une exigence en vigueur depuis 2022. Ces obligations viennent s’ajouter à la formation continue obligatoire depuis 2017, avec un minimum de 7 heures par an auxquelles viennent s’ajouter dorénavant des modules complémentaires par type de crédit distribué. En outre, en 2023, l’ACPR a durci sa position concernant les IOBSP intervenant dans l’assurance emprunteur, en doublant leur obligation de formation à 15 heures annuelles en matière d’assurance.

Les récentes Associations Professionnelles Agréées (APA), créées pour encadrer ces obligations, semblent toutefois agir avec un objectif bien différent de leur mission initiale. Sous couvert de collaboration, ces associations cherchent à réduire leur nombre à trois entités dominantes, leur permettant ainsi de s’approprier le marché lucratif de la formation continue obligatoire de “seulement” 67 000 professionnels ! Ce phénomène a déjà été observé dans le secteur des conseillers en investissements financiers et des conseillers en gestion de patrimoine, où seuls 2 ou 3 organismes de formations, dont un hyper dominant, bénéficient désormais d’accords très discrets avec ces APA. Tant mieux pour les gagnants, mais ce qui aurait été souhaitable et éthiquement correct, c’est de faire un appel d’offre et d’avoir une grille de critères pour que les organismes de formation puissent faire parvenir leurs offres. Et ce n’est pas faute de ne pas les avoir sollicitées… elles ignorent toutes les appels en ce sens. Toutes, sauf une, qui commence par A et qui semble bien faire les choses. 

Ce jeu de pouvoir est d’autant plus problématique que les APA détiennent une délégation de service public, les chargeant du contrôle des niveaux de formation des intermédiaires, ainsi que de leur personnel, entre autres. Cela crée un risque évident de conflit d’intérêts, où ces associations, sous le prétexte de régulation, pourraient influencer directement le marché de la formation en leur faveur. Pendant ce temps, les organismes de formation indépendants et les intermédiaires eux-mêmes peinent à s’adapter à ces nouvelles exigences, trop occupés à gérer leur activité quotidienne. C’est là un danger réel de mélange des genres, que l’on pourrait négliger en raison d’une attention insuffisante portée à ces mécanismes discrets mais influents. Enfin, certains diront qu’ils n’étaient pas au courant, le ministre de l’Economie sortant a bien osé le style au journal télévisé de TF1 quand il s’est agi d’aborder la question du dérapage des comptes du pays ! 

Aujourd’hui, force est de constater que cette réglementation n’a pas suffi à endiguer la vague d’escroqueries en ligne. Des appels ont été lancés pour un renforcement des contrôles et une meilleure régulation des activités des banques étrangères souvent utilisées par les fraudeurs pour détourner les fonds. 

La critique principale réside dans le fait que, malgré cette complexité réglementaire, les consommateurs ne sont pas suffisamment protégés contre les arnaques sophistiquées. Il est impératif de revoir la législation pour mieux contrôler les canaux numériques par lesquels ces fraudes opèrent, tout en allégeant les contraintes qui pèsent sur les courtiers légitimes afin de leur permettre de mieux se défendre contre ces usurpations d’identité. 

Il faut souligner que la réglementation dans l’intermédiation de crédit et d’assurance s’est historiquement concentrée sur la prévention des conflits d’intérêts et la protection des consommateurs contre les comportements abusifs des professionnels eux-mêmes. Le législateur a mis en place des règles très strictes pour garantir que les intérêts des clients soient respectés, notamment avec des exigences de transparence, d’information, et d’évaluation de la solvabilité. Cette approche visait à protéger les consommateurs contre les excès potentiels des intermédiaires, mais elle a peut-être négligé une menace plus insidieuse : les fraudeurs extérieurs qui usurpent l’identité de professionnels légitimes.

Erreur d’appréciation sur la cible. 

En effet, la focalisation excessive sur les risques internes a pu faire passer au second plan la menace des escrocs en dehors du cadre professionnel réglementé. Ces fraudeurs agissent par le biais de techniques sophistiquées d’usurpation d’identité, exploitant la crédulité des consommateurs et les failles dans les systèmes de contrôle. Aujourd’hui, nous voyons que les véritables escrocs ne sont pas nécessairement des professionnels du secteur, mais souvent des bandes organisées opérant sur internet, loin des structures régulées. Ce phénomène démontre que la complexité croissante de la réglementation des professionnels ne protège pas toujours contre les cybercriminels.

Rôle des banques et vérification des comptes.

En ce qui concerne les banques, elles jouent un rôle clé dans le processus de vérification des comptes et des virements. Cependant, des failles existent toujours dans le système, en particulier dans le cadre des virements SEPA, qui permettent des transferts rapides et souvent sans une vérification rigoureuse de l’identité du destinataire. Bien que les banques soient soumises à des règles strictes de conformité (LCB-FT – Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), les escrocs parviennent encore à ouvrir des comptes frauduleux, parfois en dehors de la zone SEPA, mais également à l’intérieur de celle-ci. 

Les banques ne peuvent pas toujours détecter instantanément les comptes frauduleux, surtout si ces derniers sont ouverts dans des établissements moins surveillés ou étrangers, ce qui pose un problème de traçabilité des fonds. Cela dit, certains établissements, notamment des néo-banques ou des banques digitales, peuvent présenter plus de risques en termes de contrôle de la conformité des bénéficiaires des virements​.

La réponse réglementaire et technologique.

Bien que des mesures telles que la vérification d’identité renforcée ou l’utilisation de plateformes de paiement sécurisées aient été mises en place, les escrocs parviennent encore à exploiter des failles dans le système. Par exemple, l’utilisation de fausses identités et de documents contrefaits rend plus difficile le contrôle des comptes bancaires ouverts à des fins frauduleuses. Des appels à un renforcement des contrôles, notamment pour les banques étrangères, et à l’amélioration de la traçabilité des numéros de téléphone utilisés par les fraudeurs, ont été formulés par des experts du secteur​. D’ailleurs un dispositif de blocage des numéros usurpés vient d’être mis en place en urgence par le nouveau gouvernement. 

En résumé, la réglementation actuelle vise surtout à encadrer les professionnels et à protéger les consommateurs contre les excès des intermédiaires en place, mais elle a négligé la montée des fraudes externes opérées par des individus ou des groupes non affiliés à ces professionnels. Les banques, bien qu’elles aient un rôle central dans la sécurisation des virements, doivent renforcer leurs processus de contrôle, en particulier à l’égard des comptes suspects ou des établissements opérant dans des zones à risque. La coordination entre les régulateurs, les banques et les consommateurs est essentielle pour contrer ces nouvelles formes de criminalité.

Jérôme CUSANNO 

Directeur de l’IEPB 

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