Supervision Financière 2.0 : L’Impact de l’IA

L’industrie financière, intrinsèquement liée à la donnée et à son analyse – que ce soit pour évaluer un risque de crédit, estimer la volatilité d’un actif ou déterminer le tarif d’un risque d’assurance – s’avère être un terrain fertile pour l’implantation des technologies d’intelligence artificielle (IA). Exploitant les vastes gisements de données dont disposent les établissements financiers, l’IA s’impose ainsi comme un levier majeur de la transformation numérique en cours dans ce secteur. Avec le développement de l’IA générative, cette transformation est appelée à s’accélérer encore davantage.

Pour les superviseurs financiers, l’impact de l’IA nécessite une vigilance particulière en raison de son caractère potentiellement ambivalent. D’un côté, l’IA ouvre de nouvelles opportunités pour le secteur financier et, par extension, pour ses superviseurs. De l’autre, elle introduit également de nouveaux risques qu’il convient de gérer avec prudence. Cette dualité justifie la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat, dont les premières étapes viennent d’être franchies.

Depuis plusieurs années, les observations de la Banque de France confirment une tendance nette : l’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée par les institutions financières à travers tous les segments de la chaîne de valeur. Ces dernières s’appuient sur l’IA pour améliorer l’expérience utilisateur, notamment via des chatbots pour l’assistance client, mais aussi pour automatiser et optimiser de nombreux processus internes. L’IA joue également un rôle crucial dans le contrôle et la maîtrise des risques, illustré par son succès dans la lutte contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). Bien maîtrisée, l’IA est donc susceptible d’accroître l’efficacité et la rentabilité des institutions financières, renforçant ainsi leur solidité grâce à des solutions de contrôle des risques performantes.

L’avènement de l’IA générative représente une nouvelle vague d’innovations. Elle promet d’améliorer qualitativement des outils existants : par exemple, là où les chatbots classiques utilisent le traitement du langage naturel pour fournir des réponses générales, les chatbots alimentés par l’IA générative peuvent offrir des réponses personnalisées et mieux adaptées aux situations spécifiques des utilisateurs. L’IA générative a également le potentiel d’accélérer l’adoption des nouvelles technologies, de stimuler l’innovation et de transformer les processus. Par exemple, la possibilité d’effectuer des requêtes informatiques en langage naturel et de générer du code à la demande pourrait redéfinir le rôle des programmeurs traditionnels. Plus largement, l’IA générative pourrait accroître la productivité : selon la Commission de l’IA présidée par Anne Bouverot et Philippe Aghion, le déploiement de l’IA pourrait générer un surplus de croissance d’environ 1 % par an en France d’ici 2034.

Les superviseurs financiers ne restent pas à l’écart de ces transformations majeures et exploitent déjà les technologies d’IA pour améliorer leur efficacité. Parmi les projets développés par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), on peut citer la détection avancée d’anomalies dans les reportings des établissements ou l’outil LUCIA, qui permet l’analyse de grands volumes d’opérations bancaires et évalue la performance des modèles de LCB-FT déployés dans les banques.

Récemment, l’ACPR a organisé, avec l’aide de son centre d’innovation Le Lab, un marathon technologique, sous forme d’un hackathon visant à explorer les apports de l’IA générative aux différents métiers de la supervision. Cet événement a démontré en trois jours le potentiel des grands modèles de langage pour la supervision, avec la création de huit prototypes co-construits par des data scientists externes et des agents de l’ACPR. Quatre projets seront approfondis dans le cadre du plan stratégique de l’ACPR et, espérons-le, aboutiront à de nouveaux outils pour aider les superviseurs dans leurs activités variées. Ce marathon technologique a également permis de poser les bases d’une réflexion à plus long terme sur l’évolution des métiers du contrôle, en soulignant l’importance de conserver une part de l’analyse aux contrôleurs humains afin de maintenir un haut niveau de fiabilité dans les processus.

L’IA et ses Ombres : risques et défis pour le secteur financier

L’usage de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur financier ne va pas sans poser de sérieux risques, tant pour chaque établissement individuel que pour le système financier dans son ensemble. Au niveau micro-prudentiel, l’adoption de l’IA par les institutions financières peut générer des risques susceptibles de compromettre leur solidité et d’affecter leur clientèle. Par exemple, un modèle de tarification mal calibré peut causer des pertes systématiques, menaçant ainsi la pérennité d’une institution. Pour les clients, l’IA peut engendrer des traitements inappropriés, voire discriminatoires, des atteintes à la vie privée via le traitement des données personnelles, et des risques de désinformation ou de manipulation lors des interactions commerciales.

L’opacité des décisions algorithmiques est une préoccupation majeure pour les superviseurs en matière d’IA. En effet, protéger les clients implique qu’ils puissent comprendre les décisions automatisées qui les concernent. Mais cette transparence est également cruciale pour la gouvernance interne des institutions : une entreprise incapable de comprendre les décisions de ses systèmes d’IA ne peut en maîtriser les risques.

Sur le plan macro-prudentiel, l’adoption massive de l’IA pourrait menacer la stabilité du système financier global. Deux ensembles de risques se distinguent : d’une part, l’utilisation généralisée de mêmes outils pourrait renforcer les comportements moutonniers sur les marchés financiers, accentuant la volatilité et la procyclicité. D’autre part, une dépendance accrue aux acteurs tiers, par le biais de systèmes d’IA “sur étagère” fournis par les mêmes entreprises dominantes, pourrait générer des risques systémiques. Cette situation est particulièrement préoccupante dans le domaine de l’IA générative, dominé par les mêmes acteurs que ceux du marché du cloud.

Toutefois, il convient de rester prudent, car l’avenir n’est pas figé. L’ampleur des risques systémiques évoqués – uniformité des outils induisant des comportements similaires et dépendance aux mêmes fournisseurs – dépendra des évolutions technologiques. Si les modèles généralistes s’imposent pour tous les usages, cela pourrait mener à un monopole ou oligopole naturel. À l’inverse, si les modèles spécialisés dominent, les dynamiques pourraient être différentes.

À la frontière entre les risques micro et macro-prudentiels se trouve le risque cyber, devenu ces dernières années le principal risque opérationnel pour le secteur financier. L’IA amplifie ce risque de plusieurs façons : elle augmente la dangerosité des attaquants, avec des assistants en écriture de code pouvant concevoir des logiciels malveillants et des voix synthétiques facilitant l’usurpation d’identité. De plus, l’IA pourrait renforcer les interconnexions techniques au sein du système financier, rendant les technologies et systèmes encore plus interdépendants, ce qui faciliterait la transmission de vulnérabilités d’un système à un autre. C’est l’une des raisons d’être du règlement européen DORA, qui entrera en vigueur en janvier 2025, visant à renforcer la résilience des entités financières face aux risques cyber.

Réguler l’IA dans le secteur financier : un enjeu crucial pour l’Europe

Face aux risques de l’IA, il est essentiel de construire une régulation efficace pour maximiser ses opportunités dans le secteur financier. L’Union européenne a pris les devants avec l’« AI Act », le premier règlement mondial visant à établir une « IA de confiance ». Ce texte distingue plusieurs niveaux de risque, ciblant particulièrement l’évaluation de la solvabilité pour les crédits et la tarification des assurances.

Bien que l’« AI Act » se concentre sur les droits des citoyens, le superviseur financier doit également veiller à la stabilité financière et à la lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT). En confiant la surveillance des usages financiers de l’IA aux autorités de contrôle du secteur financier, le législateur européen a su aligner les objectifs sectoriels et trans-sectoriels. L’ACPR, forte de ses travaux sur l’IA, est prête à assumer ce nouveau rôle.

La coopération est essentielle pour     encadrer l’utilisation de l’IA. Il est crucial   de développer une méthodologie commune pour l’audit des systèmes d’IA en Europe afin de réduire les risques. Favoriser l’émergence de fournisseurs   européens de solutions d’IA pourrait également diversifier les outils et limiter les risques macro-prudentiels.

Au-delà de l’Europe, une approche  mondiale est nécessaire. De nombreuses juridictions partagent des préoccupations similaires, et les initiatives internationales (FSB, OCDE, ONU) doivent converger. Renforcer les coopérations entre les autorités sectorielles est aussi crucial, car les questions d’IA sont interconnectées. Le mécanisme de surveillance unique européen a notamment été mis en place pour cela. 

Source : www.banque-france.fr

Yassine BORDA 

Responsable du Pôle Formations 

IEPB 

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