Pour notre portrait du mois, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Olivier LENDREVIE, ex-directeur général de CAFPI, qui a été très actif dans les médias et les réseaux sociaux pendant la crise de l’immobilier, apportant toutes ses connaissances et ses analyses pour détricoter des contre-vérités et tenter de barrer la route à une espèce de fatalisme sur les inexorables conséquences de la remontée des taux.
Olivier, comment en es-tu arrivé à diriger un des plus grands intermédiaires de crédit de France ?
Il m’a répondu en riant : “qu’il était tombé dans le crédit quand il était petit”, d’où mon titre, petit clin d’œil à la série des Astérix.
Olivier est un ancien d’une école de commerce, et comme il est d’usage dans ces filières d’études, un stage à l’étranger est préconisé aux étudiants. En 1993, Olivier saute sur l’opportunité d’un stage d’un an à New-York dans une banque française d’affaires, la Banque Française du Commerce Extérieur (devenue Natixis après une série de rapprochements). C’est la rencontre du financement aux entreprises, et le moment de mettre à profit ses connaissances en lecture de bilans, soldes intermédiaires de gestion, balance, et autres comptes de trésoreries. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça lui a plu, puisqu’il a fait carrière dans la banque.
Olivier passe ensuite au service de General Motors, dans sa filiale britannique de financement immobilier aux particuliers, et est chargé du développement de l’entreprise au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Espagne. Il y restera 8 ans.
Olivier me précise que beaucoup ignore que General Motors a été jusqu’à la crise des subprimes, le numéro 2 du crédit immobilier aux Etats-Unis.
2008-2009, la banque est impactée par la crise des titrisations, il n’y a plus de ligne de crédit. Olivier me dit que c’est un peu comme si on débranchait la prise. C’est exactement ce qu’il s’est passé, il n’y avait plus d’argent à prêter, explique-t-il.
Il a fallu donc se réinventer, et Olivier s’oriente vers la banque de détail d’abord, mais en tant que consultant auprès de la Banque Populaire. C’était l’époque du rapprochement entre la Caisse d’Epargne et la Banque Populaire, ajoute-t-il. Olivier a noué de bons rapports avec “le staff exécutif” – la gouvernance de la banque – et notamment son Directeur Général, qui lui propose le poste de Directeur Général Adjoint de la BRED en Nouvelle Calédonie. Il accepte et s’envole avec sa famille pour cette nouvelle aventure qui durera 3 ans. Puis c’est le retour à Paris pour prendre le poste de comme directeur financier puis Directeur Général Adjoint de la BRED. Après la crise bancaire des années 2008-2009, Olivier assiste à la vague de durcissement de la réglementation bancaire, qu’il comprend, précise-t-il, mais avant d’ajouter que le balancier est peut-être allé trop loin. Le monde bancaire s’est retrouvé face à un mille feuilles de réglementation, parfois des incohérences, voire des contradictions, expliquant qu’il régnait une concurrence entre les autorités de régulation nationales et le système européen de supervision. Tout cela était un frein au développement des activités qu’il dirigeait et Olivier s’est senti à l’étroit. Au bout de 12 ans dans la banque, il avait envie de quelque chose d’un peu plus entrepreneurial et à taille humaine. Parmi ses connaissances, il avait des relations dans un fonds d’investissement qui est entré au capital de CAFPI en 2021.
“C’était le bon moment pour moi, pensais-je, sans imaginer la violence du retournement à venir.”
CAFPI était une entreprise familiale de 50 ans, avec sa culture et ses habitudes, qui diffèrent de celles d’un grand fonds d’investissement. Il a fallu opérer des réformes. Dans les projections, on peut penser à plein d’éventualités, mais ce qu’on n’avait jamais prévu, explique-t-il, c’était la violence du retournement du marché du crédit.
Hausse des taux, et par conséquent, chute de la demande de crédit, ce qui est classique, dit-il, il fallait continuer à être rentable, et le poids sur les épaules du dirigeant était devenu, sur le plan personnel, difficile à soutenir. Olivier détaille : avec l’inflation galopante, il était inconcevable que les taux n’augmentent pas, arme anti-inflation par excellence. Les taux à 1%, voire moins, ça ne pouvait pas durer, mais on ne pouvait pas prévoir que les taux passeraient de moins de 1% à 4% en l’espace de 18 mois seulement.
CAFPI est une très belle entreprise, mais Olivier me dit qu’il s’est rendu compte qu’il fallait passer la main. Il avait été un patron-IOBSP, une corde supplémentaire à son arc. Que l’aventure continue !
Olivier, quelle vision portes-tu sur la crise de l’immobilier ?
Il démarre très vite et me dit qu’il est très critique sur la politique publique du logement. Il y a eu des mesures pro-cycliques qui n’ont fait qu’accentuer le retournement du marché qu’il évoquait précédemment. Après, on peut spéculer sur les raisons, me dit-il, mais il se dit stupéfait du refus des autorités de regarder le problème en face.
Premier effet, le taux de l’usure. Tous les professionnels expliquaient que le mécanisme avait vécu et qu’il fallait le réformer. Sourde oreille pendant 9 mois, pour ensuite accepter un taux de l’usure au mois le mois, au lieu d’un indice trimestriel. Pour la petite histoire, Olivier me raconte que pendant qu’il passait sur BFM TV pour expliquer que le taux de l’usure était un frein au financement des particuliers, quelques concurrents ont sauté sur l’occasion pour expliquer que chez eux, il n’y avait aucun problème de taux de l’usure. Ça fait sourire ! Mais en même temps, poursuit-il, cela est assez révélateur du monde des IOBSP. Ils manquent d’unité, et sont trop fragmentés. Les banques ont la FBF, et savent parler d’une même voix, contrairement aux IOBSP. Les IOBSP sont divisés en 2 groupes presque à part égales : 50% d’entre eux sont des grands réseaux, tandis que l’autre moitié est constituée par des TPE, parfois multimétiers. De par cette structuration, il n’y a pas à ce jour d’organisation qui puisse porter la parole de tous les intermédiaires de crédit.
Autre mesure pro-cyclique : le rétrécissement des critères du PTZ. Qu’on ne dise pas à Olivier que tout va bien, car on est passé de 117 000 PTZ accordés en 2018, à moins de 47 000 en 2023, détaille-t-il.
Ajouté à ce rétrécissement des critères, le gouvernement supprime purement et simplement le PTZ pour les maisons individuelles. Le résultat, on le connait : quasi arrêt des commandes de maisons neuves, et les conséquences qui s’ensuivent pour le marché de la construction.
Olivier poursuit ses développements et cite la suppression du dispositif Pinel qui consistait à défiscaliser tout ou partie de son impôt sur le revenu en réalisant un investissement immobilier dans des zones prédéfinies, provoquant ainsi des conséquences encore, inéluctables, sur le marché de la construction !
Ces réformes ne pouvaient pas intervenir à un pire moment, estime-t-il.
Il est vrai que l’on peut être surpris et qu’on se questionne sur la compétence des gens qui nous gouvernent. C’est alors que je demande à Olivier si finalement tout ceci n’est pas fait à dessein pour justement contrecarrer une situation qui pourrait être pire encore. Mais Olivier me rappelle le rasoir d’Hanlon. C’est une règle de raisonnement permettant d’éliminer des hypothèses. Formulée en 1980 par le programmeur américain Robert J. Hanlon, cette règle s’énonce de la manière suivante : « Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. »
Olivier arrive à la fin de sa liste, et me parle des normes du HCSF de janvier 2022. Premières du genre, ces décisions du HCSF imposent des critères d’octroi de crédit aux banques, et cela signifie que les banques s’exposent à des sanctions en cas de non-respect. A ce jour, aucune sanction n’a encore été prononcée. Olivier me dit qu’aujourd’hui, on ne peut pas déterminer combien de dossiers ont été refusés à cause des ces normes du HCSF. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y a eu un impact, supplémentaire, et notamment sur la fin du calcul différentiel qui permettait de trouver un financement aux investisseurs locatifs. Bien entendu, poursuit-il, les primo-accédants ont également été touchés, notamment les jeunes à forts potentiels, comme on les appelle en banque, c’est-à-dire les titulaires de hauts diplômes, que les banques aimaient accompagner en leur proposant des financements évolutifs.
Un nouveau gouvernement vient d’être constitué, et les marchés de l’immobilier et du financement sont dans l’expectative. Peut-être sommes-nous entrés dans une nouvelle mutation économique ? Cela est une très bonne transition pour parler d’une nouvelle façon de financer vos clients.
Prexange, qu’est-ce qui change ?
Quatre amis s’installent autour d’une table et dressent le constat que le courtage de crédit a besoin de nouvelles solutions. En réaction à tout ce qui vient d’être rappelé, ils viennent de lancer Prexange, une plateforme qui va peut-être révolutionner votre manière de travailler.
Depuis 2019, on assiste à une baisse des commissions de courtage versées par les banques, une baisse des partenaires courtiers et un marché qui se divise entre d’une part, les intermédiaires de crédit sous convention bancaire et avec commissionnement, et d’autre, part les autres intermédiaires qui font le choix de ne se contenter que de leur mandat, ou qui basculent en mission de conseil indépendant.
Olivier salue au passage le travail de l’UIC et cite Bérengère DUBUS pour la reconnaissance du mandat de courtage qui impose aux banques d’instruire les dossiers apportés par un courtier.
Cependant, l’afflux de dossiers déposés par les intermédiaires pose aux banques de véritables difficultés d’organisation, de traçabilité et de productivité. Il reste primordial pour elles de pouvoir s’assurer de la conformité des différents intermédiaires et de suivre la qualité de leurs opérations, ce qui confère un avantage aux grands réseaux qui sont structurés pour apporter cette réassurance. Sans prétendre être un nouveau réseau de courtage, Prexange est une plateforme permettant aux banques d’instruire les dossiers déposés par des courtiers indépendants avec le même niveau de confiance. Le courtier, lui, retrouve l’accès à un panel de banques élargi et peut se concentrer sur sa mission de conseil sans avoir à négocier de conventions bancaires.
Pas de barrière à l’entrée, pas de réversion, pas d’exclusivité, ni de limites géographiques.
Le courtier se rend sur la plateforme et saisit la demande de prêt de son client, accompagnée des pièces justificatives.
De son côté, Prexange va certifier aux banques que les informations saisies sont correctes, vérifiées, et encourage les banques à émettre des propositions de principe de prêt. Il ne s’agit pas de se lancer dans une course au mieux disant, explique Olivier, car les banques ne voient pas les propositions qui sont faites par leurs consoeurs. Chaque banque reste libre de son offre, et de sa durée de validité. C’est une nouveauté, car on n’est plus dans le système de mono présentation de demande de prêt, poursuit-il. La plateforme est conçue pour donner la prime à la réactivité.
Le courtier et son client, de leur côté, ont accès à toutes les propositions.
Dès qu’un courtier sélectionne une proposition de banque, le dossier est retiré de la plateforme assurant ainsi une exclusivité la banque sur cette demande.
Le système est déjà opérationnel en région PACA, comme projet pilote. Le déploiement sur le plan national se fera au fur et à mesure que les banques adhèrent à cette plateforme d’échange.
Olivier, on atteint la dernière rubrique de cet entretien. Quels sont les conseils que tu donnerais à un jeune qui s’installerait ?
Olivier insiste sur un point : la personne qui souhaite embrasser la profession doit comprendre qu’il s’agit avant tout d’un métier de prospection. Il faut aller convaincre et sortir de sa zone de confort.
Ensuite, il faut tout miser sur la qualité de la relation avec le client et l’accompagnement : écoute, présence, joignabilité.
Les clients n’oublient pas ces services et deviennent des sources de recommandation très fortes. Petit à petit, le bouche à oreille fait son oeuvre et les clients finissent par venir d’eux-mêmes.
Enfin, Olivier vous conseille de miser sur la réputation de votre entreprise vis-à-vis des banques.
Propos recueillis par
Jérôme CUSANNO
Le 03/10/2024.