
Cass. civ. 1re, 18 juin 2025, n° 23-23.295
Une décision attendue
Le contrat de location avec option d’achat (LOA) est devenu l’un des piliers du financement des biens de consommation, notamment dans le secteur automobile. Il séduit par sa souplesse : le client loue le bien pendant une durée déterminée, avec la possibilité de l’acquérir à l’échéance en versant une somme résiduelle.
Mais derrière cette apparente simplicité se cachait une incertitude juridique persistante : le bien peut-il être remis au locataire avant l’expiration du délai de rétractation ? En d’autres termes, le loueur peut-il livrer le véhicule ou l’équipement dès la signature du contrat, ou doit-il attendre que le délai légal soit écoulé ?
Trois interprétations coexistaient jusqu’à présent dans les juridictions du fond, au point de désorienter les professionnels comme les consommateurs. L’arrêt du 18 juin 2025 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation met fin à cette incertitude. Une clarification bienvenue pour l’ensemble du secteur.
La LOA, un contrat hybride entre location et crédit
Aux termes de l’article L. 312-2 du Code de la consommation, les opérations de location-vente et de location avec option d’achat sont assimilées à des opérations de crédit.
Cette assimilation emporte des conséquences majeures : elle place la LOA sous le régime protecteur du crédit à la consommation, avec ses obligations d’information précontractuelle, ses contrôles de solvabilité, son encadrement du coût du crédit et surtout son droit de rétractation.
Concrètement, ce droit varie selon la nature du crédit :
- 14 jours calendaires pour un crédit à la consommation autonome ;
- 3 jours seulement lorsque le crédit (ou la LOA assimilée) est affecté à l’acquisition d’un bien déterminé, par exemple un véhicule.
C’est ce dernier délai, plus court, qui s’applique en matière de LOA automobile.
Trois interprétations concurrentes avant 2025
La pratique, nourrie par la jurisprudence des cours d’appel, avait accouché de trois approches distinctes :
- L’approche maximaliste : la remise du bien avant la fin du délai de rétractation rendait le contrat nul de plein droit. Cette lecture, très protectrice du consommateur, était défendue par certaines juridictions au nom du respect absolu du droit de rétractation.
- L’approche intermédiaire : la remise anticipée n’emportait pas nullité automatique, mais pouvait justifier des dommages-intérêts ou une réduction du prix, au motif qu’elle altérait la liberté de choix du consommateur.
- L’approche pragmatique, enfin : la livraison anticipée ne vicie pas le contrat dès lors que le consommateur reste libre d’exercer son droit de rétractation. Cette position, soutenue par plusieurs cours d’appel et par la doctrine du financement automobile, visait à préserver la fluidité des opérations commerciales sans sacrifier la protection du consommateur.
Cette diversité de solutions créait une insécurité juridique majeure, aussi bien pour les sociétés de financement que pour les courtiers IOBSP, qui ne savaient plus quelle conduite recommander à leurs clients.
Les faits à l’origine du pourvoi
L’affaire jugée en juin 2025 illustre parfaitement cette tension.
Un couple avait signé, le 3 avril 2017, un contrat de LOA pour un véhicule BMW auprès de la société BMW Finance. Le véhicule fut livré deux jours plus tard, le 5 avril. Les locataires, estimant que cette livraison anticipée violait leur droit de rétractation, demandèrent l’annulation du contrat et le remboursement des loyers versés.
La cour d’appel de Douai rejeta leurs prétentions : selon elle, la livraison ne privait pas le consommateur de son droit de rétractation, puisqu’il pouvait encore l’exercer jusqu’au 6 avril à minuit, soit trois jours après la signature.
Les emprunteurs se pourvurent alors en cassation, soutenant que la simple remise du bien avant l’expiration du délai rendait le contrat irrégulier.
La solution de la Cour de cassation
La première chambre civile rejette le pourvoi.
Elle énonce clairement :
« En l’absence de disposition légale relative aux modalités de remise du bien objet du contrat de location avec option d’achat, cette remise peut intervenir avant l’expiration du délai de rétractation prévu à l’article L. 312-19 du Code de la consommation. »
Autrement dit, aucun texte n’interdit au bailleur de livrer le bien avant la fin du délai de rétractation, tant que le consommateur reste libre de se rétracter.
Cette affirmation, sobre mais décisive, clôt un long débat. La Cour distingue la LOA du crédit affecté : les règles spécifiques à la remise du bien prévues pour les crédits affectés (ancien art. L. 312-47, désormais L. 312-52) ne s’appliquent pas aux contrats de location avec option d’achat.
Ainsi, la sanction de nullité réservée au crédit affecté livré trop tôt ne peut être transposée à la LOA. La Haute juridiction confirme donc la solution pragmatique : la remise anticipée du bien n’emporte pas nullité du contrat.
Les conséquences pratiques de la décision
1. Une sécurité juridique retrouvée
Pour les sociétés de financement, la décision apporte une sécurité bienvenue. Les pratiques de livraison rapide – souvent indispensables pour répondre aux attentes du client – ne sont plus menacées d’annulation systématique.
Les acteurs du marché automobile peuvent donc poursuivre leurs livraisons dans des délais serrés sans craindre une remise en cause du contrat, même dans les trois jours suivant la signature.
2. Un nouveau cadre pour les IOBSP
Les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) sont directement concernés. En effet, ils conseillent souvent leurs clients dans le choix entre un crédit classique et une LOA.
Désormais, ils devront :
- actualiser leurs supports d’information pour préciser que la remise anticipée du bien est admise ;
- conserver la preuve de l’information délivrée sur le droit de rétractation ;
- éviter toute confusion entre remise du bien et exécution du contrat : le client doit pouvoir se rétracter, y compris après la livraison, jusqu’à la fin du délai de trois jours.
3. Des précautions à maintenir
La Cour n’a pas supprimé le droit de rétractation : elle a simplement écarté la sanction automatique liée à la livraison anticipée.
Ainsi, l’établissement prêteur ou le courtier doit veiller à ce que :
- le consommateur dispose bien du délai complet de trois jours ;
- la date de remise du bien soit consignée et explicite dans le dossier ;
- aucune pression commerciale ne soit exercée pendant ce délai.
Une clarification qui s’inscrit dans la continuité
Cette décision ne rompt pas totalement avec la jurisprudence antérieure : elle en prolonge l’évolution logique.
Depuis plusieurs années, la Cour de cassation tend à différencier clairement la LOA du crédit affecté.
Dans un arrêt du 28 mars 2018 (n° 16-27.703), elle avait déjà jugé que la LOA n’est pas un contrat de vente à tempérament, mais un contrat de location assimilé à une opération de crédit. Cette distinction est à nouveau confirmée en 2025.
L’arrêt du 18 juin 2025 parachève cette évolution : la LOA obéit à son propre régime, qui ne saurait être confondu avec celui du crédit affecté. C’est une clarification bienvenue pour les praticiens.
Les effets pour les consommateurs
Pour le consommateur, la décision ne réduit pas ses droits.
Il peut toujours se rétracter dans les trois jours qui suivent la signature de l’offre, même si le bien lui a été livré entre-temps.
En cas de rétractation, il devra simplement restituer le bien en l’état, sans pénalités excessives, conformément au principe général du Code de la consommation.
Cette solution offre plus de flexibilité à ceux qui souhaitent bénéficier rapidement du bien loué tout en conservant leur faculté de renonciation.
En revanche, elle invite à la prudence : une fois le véhicule ou le matériel livré et utilisé, le retour à la situation initiale peut être matériellement délicat.
Les questions encore ouvertes
Si la Cour de cassation a tranché sur la remise du bien, elle laisse subsister d’autres zones d’ombre :
- Quid de la restitution en cas de rétractation après usage du bien ?
- Comment traiter les frais d’immatriculation, d’assurance ou de préparation engagés entre la livraison et la rétractation ?
- Le professionnel pourra-t-il réclamer une indemnité d’usage ?
- Et surtout, cette solution s’étendra-t-elle à d’autres secteurs que l’automobile?
Autant de points que la jurisprudence aura à préciser dans les années à venir.
Pour les IOBSP, un rappel de bon sens réglementaire
Pour les courtiers en financement, cette décision ne doit pas être interprétée comme un relâchement des exigences réglementaires.
Le Code monétaire et financier, tout comme le Code de la consommation, impose aux IOBSP de veiller à la clarté et à la loyauté des informations transmises.
La fiche d’information précontractuelle (FIPEN) doit notamment préciser :
- la nature exacte du contrat (location avec option d’achat, et non crédit affecté)
- la durée, le coût total et le montant de l’option ;
- les droits de rétractation et les conditions d’exercice.
En somme, la décision du 18 juin 2025 n’exonère pas le courtier de son obligation de conseil ni de son devoir de vigilance. Elle rend simplement la lecture du droit plus cohérente.
Un équilibre entre protection et réalisme économique
En admettant la remise anticipée du bien loué, la Cour de cassation a cherché à rétablir un équilibre pragmatique :
- protéger le consommateur sans entraver inutilement la fluidité du marché ;
- garantir la liberté contractuelle tout en préservant la rétractation ;
- reconnaître la spécificité de la LOA, instrument financier distinct du crédit affecté.
Cette décision s’inscrit dans une logique d’efficacité économique, sans sacrifier les principes de transparence et d’équité.
L’arrêt Cass. civ. 1re, 18 juin 2025, n° 23-23.295 constitue une clarification majeure pour la pratique du financement à la consommation.
En affirmant que la remise du bien dans une LOA peut intervenir avant l’expiration du délai de rétractation de trois jours, la Cour met fin à des années d’incertitude jurisprudentielle et sécurise les pratiques du marché.
Pour les IOBSP, cette décision est doublement instructive : elle renforce la stabilité des contrats, tout en rappelant l’importance d’une information complète, traçable et loyale.
Pour les établissements de crédit et de location, elle autorise une plus grande souplesse logistique, à condition d’intégrer cette évolution dans leurs processus internes.
Enfin, pour les consommateurs, elle consacre la possibilité d’une jouissance rapide du bien, sans renoncer à la protection fondamentale du droit de rétractation.
Une belle illustration d’un droit du crédit qui, sans perdre sa rigueur, sait encore s’adapter à la réalité du terrain.
À retenir :
- La remise du bien loué avant la fin du délai de rétractation de trois jours n’emporte plus nullité du contrat de LOA.
- Le droit de rétractation demeure pleinement applicable.
- Les professionnels doivent actualiser leurs procédures et documents d’information.
Par Charles-Hubert MEYERGUÉ,
Juriste à l’iepb.
(Sources : Cass. 1re civ., 18 juin 2025, n° 23-23.295 ; C. consommation, art. L. 312-2, L. 312-19, L. 312-52 ; doctrine et commentaires Lextenso, Le Monde du Droit, Legifrance).


