FIDA : Autopsie d’un règlement européen précipité, complexifié… et allégé

Quand la Commission européenne trébuche, c’est l’ensemble du marché qui vacille. Adopté en décembre 2024, le règlement FIDA – pour Financial Data Access – devait marquer une étape historique vers l’open finance. Mais à peine quelques mois plus tard, voilà qu’il est réévalué, simplifié, et potentiellement suspendu. Retour sur le parcours chaotique d’un texte européen qui voulait tout révolutionner, sans prendre le temps de mesurer ses impacts.

Le règlement FIDA a été présenté par la Commission européenne le 28 juin 2023 comme un prolongement de la directive DSP2. Son objectif ? Étendre l’accès aux données des clients bien au-delà des comptes de paiement pour inclure crédits, épargne, investissements, cryptoactifs, retraites et assurances non-vie​​​.

L’idée était séduisante : permettre aux consommateurs et entreprises de confier l’accès à leurs données à des prestataires tiers, afin de bénéficier de services plus personnalisés et innovants. En parallèle, FIDA introduisait l’obligation pour les établissements financiers de partager ces données de manière sécurisée, en temps réel, et via des interfaces standardisées.

1cadre dans lequel les données financières des consommateurs peuvent être partagées, avec leur consentement explicite, entre différentes institutions financières et prestataires tiers agréés.

2Directive sur les services de paiement n°2.

Pour les promoteurs du texte, FIDA devait renforcer la compétitivité du secteur, stimuler l’innovation, et rééquilibrer le rapport de force entre les géants bancaires et les fintechs.

Derrière cette promesse, se cachaient des contraintes majeures pour les établissements financiers. Première difficulté : la création obligatoire de schémas de partage de données financières (FDSS), sortes de consortiums entre détenteurs et utilisateurs de données, censés fixer les règles techniques d’accès, de compensation et de sécurité​​.

Les détenteurs de données devaient également :

  • fournir un tableau de bord pour gérer les autorisations de leurs clients ;
  • respecter des délais extrêmement courts (« sans retard injustifié ») ;
  • garantir une qualité de service uniforme ;
  • intégrer des normes d’API encore inexistantes ou mal définies.

À cela s’ajoutait une obligation inédite : celle de compenser financièrement les détenteurs de données, une avancée par rapport à DSP2 mais encore floue dans sa mise en œuvre​​.

Des critiques en cascade et une levée de boucliers

Très vite, les critiques se sont multipliées. Les associations de professionnels, notamment dans l’assurance, ont alerté sur la complexité de mise en œuvre, les coûts disproportionnés, et le manque de clarté juridique.

Certaines voix ont dénoncé un texte « à l’aveugle », déplorant l’absence d’étude d’impact digne de ce nom. Comment un règlement aussi ambitieux pouvait-il avancer sans avoir mesuré précisément ses conséquences économiques, techniques et concurrentielles ?

La MACIF, par exemple, a fait réaliser un sondage révélant que la majorité des assurés refusaient de partager leurs données avec des tiers​. L’Association des assureurs mutualistes européens (AMICE) a carrément demandé un arrêt du processus, mettant en garde contre une fragilisation de la protection des données.

Le coup de frein du trilogue : retour à la case simplification

Le 1er avril 2025, lors des premières négociations en trilogue sous présidence polonaise, la Commission a été chargée de revoir sa copie. Objectif : produire en quatre semaines un document officieux qui repense l’entièreté de FIDA en intégrant les demandes de simplification.

Ce document devra proposer :

  • une réduction significative des charges administratives et techniques,
  • une approche basée sur des cas d’usage concrets,
  • une mise en œuvre progressive par phases,
  • et surtout, une vraie analyse d’impact après chaque phase, pour corriger le tir si nécessaire​.

Le BIPAR, qui représente les intermédiaires d’assurance en Europe, a salué cette réorientation. Pour cette organisation, il est fondamental que FIDA « ne mette pas en danger une concurrence loyale », notamment pour les PME du courtage et de la distribution d’assurance, souvent les grandes oubliées de la régulation.

Car au fond, toute la problématique de FIDA repose sur un équilibre difficile à atteindre :

3https://presse.macif.fr/actualites 06/02/2025

4la fédération européenne des intermédiaires d’assurance

  • D’un côté, l’ambition politique de l’UE d’encourager la finance numérique et de stimuler l’économie de la donnée.
  • De l’autre, le pragmatisme du terrain, où les acteurs doivent pouvoir s’adapter sans se ruiner.

L’accès aux données, dans sa version initiale, risquait surtout de profiter aux grandes plateformes technologiques, au détriment des acteurs plus traditionnels. Il posait aussi la question sensible de l’entrée d’entités non européennes dans le jeu, avec des implications sur la souveraineté numérique​​.

La version allégée de FIDA qui émergera des négociations devra donc :

  • préserver l’innovation,
  • protéger les données personnelles (RGPD),
  • garantir l’interopérabilité technique,
  • sans désavantager les petits acteurs face aux géants du numérique.

Pourquoi est-ce important pour les IOBSP ? 

Si le règlement FIDA cible en premier lieu les grandes institutions financières, il ouvre en réalité la voie à un bouleversement plus large : l’entrée des agrégateurs de données dans la chaîne de distribution du crédit. Ces prestataires, déjà bien implantés dans le domaine de l’open banking, joueront un rôle central dans la structuration des données financières du client.

Concrètement, un consommateur pourra, via son application d’agrégation, sélectionner les données pertinentes — revenus, charges, crédits en cours, épargne, historique bancaire — et les transmettre directement à un intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP). Ce dernier pourra alors évaluer la faisabilité d’un projet, simuler un plan de financement, et même monter un dossier de prêt complet avec des données de qualité, fiables et à jour.

Cette nouvelle dynamique suppose une adaptation rapide de la part des IOBSP. Non seulement ils devront maîtriser les outils techniques mis à leur disposition, mais surtout s’organiser collectivement pour peser dans les futures discussions sur les normes et l’accès aux agrégateurs. Si des plateformes numériques captent toute la valeur en amont, les courtiers risquent de n’être que des exécutants déconnectés de la relation client. Il est donc essentiel de mobiliser les associations professionnelles dès maintenant, afin de garantir un équilibre dans l’écosystème de l’open finance et de préserver le rôle stratégique de l’intermédiation humaine.

Et maintenant ? Le FIDA entre incertitude et espoir

Le document officieux de la Commission est attendu comme la pièce maîtresse d’un futur compromis. Son contenu conditionnera la reprise des négociations, suspendues en attendant que les États membres puissent en prendre connaissance.

Il n’est pas exclu que certaines dispositions soient repoussées, ou que FIDA soit segmenté en volets successifs, chacun soumis à une évaluation d’impact. L’objectif affiché est d’avoir un texte final adopté en 2025, avec une application entre 2026 et 2028​.

Mais la question reste entière : le FIDA allégé sera-t-il toujours porteur des ambitions initiales d’open finance, ou ne deviendra-t-il qu’un compromis édulcoré ?

Une leçon de gouvernance européenne

L’affaire FIDA illustre une fois de plus la difficulté pour l’Union européenne de réguler un secteur aussi sensible que celui de la donnée financière. À vouloir aller vite, elle a négligé l’écoute des acteurs de terrain et les réalités techniques. Heureusement, la machine institutionnelle dispose de mécanismes d’ajustement – encore faut-il les activer à temps.

Cette volte-face en plein trilogue, loin d’être un échec, pourrait in fine donner naissance à un texte plus robuste, plus juste et plus efficace. À condition que la Commission accepte vraiment de tirer les leçons du passé, DSP2 en tête.

Jérôme CUSANNO

Directeur & Fondateur IEPB.

Sources utilisées pour la rédaction de cet article :

  1. Sénat – Cadre pour l’accès aux données financières (COM(2023) 360 FINAL), 2023
  2. Deloitte France – FIDA : la nouvelle réglementation européenne pour l’ouverture de l’accès aux données financières, 25 juillet 2023 Stripe – Qu’est-ce que l’accès aux données financières (FIDA) ?, 11 octobre 2024
  3. Daf-Mag – Le règlement FIDA en passe d’être suspendu, 12 février 2025
  4. LinkedIn – FIDA : La Commission européenne redéfinit l’accès aux données Financières, par Étienne Scotto d’Apollonia, février 2025
  5. Conseil de l’Union européenne – Accord sur le FIDA, communiqué de presse, 4 décembre 2024
  6. Éléments complémentaires transmis par Jérôme Cusanno – Avril 2025
  7. Position du BIPAR – Participation aux trilogues et soutien à la simplification, avril 2025

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