La finance durable ne concerne plus seulement les grandes banques ou les géants de l’industrie.
Avec l’accélération de la mise en place des directives européennes sur la durabilité – la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et la CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) – les répercussions atteignent progressivement toute la chaîne de valeur financière.
Les IOBSP, intermédiaires jusqu’ici peu concernés, deviennent des rouages observés de plus près.
En février 2025, la Commission européenne a proposé de repousser certaines obligations liées à la CSRD et la CSDDD.
Loin de représenter un abandon, ce report traduit plutôt une volonté de rationalisation : recentrage sur les plus grandes entreprises, allégement des obligations pour les plus petites, mais renforcement de la responsabilité sur la chaîne d’approvisionnement et les relations contractuelles or les IOBSP font partie de cette chaîne.
Retour sur les fondamentaux
La CSRD impose aux grandes entreprises européennes de publier des informations extra-financières sur leur impact environnemental, social et de gouvernance (ESG). Cela concerne notamment les relations fournisseurs, les politiques de traitement des clients, ou encore la gouvernance éthique.
La CSDDD, elle, oblige les grandes entreprises à mettre en place un devoir de vigilance vis-à -vis de leur chaîne de valeur : identification des risques, mesures correctives, responsabilité en cas de manquement, y compris chez les partenaires commerciaux.
Dans sa proposition COM(2025) 80, la Commission suggère de repousser certaines échéances, mais surtout de renforcer la responsabilité sur les acteurs indirects. Ce qui inclut les IOBSP dès lors qu’ils collaborent avec des banques, assurances, plateformes ou groupes soumis à ces directives.
Pourquoi les IOBSP sont concernés
La plupart des IOBSP travaillent sous mandat pour le compte d’établissements de crédit ou d’assurance.
Or ces mandants sont souvent eux-mêmes soumis à la CSRD ou le seront d’ici 2026. Cela implique que les IOBSP devront, directement ou indirectement, prouver leur conformité à certaines exigences ESG.
Par exemples ,
Un réseau comme CAFPI ou Vousfinancer pourrait demander à ses franchisés ou affiliés de remplir une charte RSE ou de justifier de leurs pratiques éthiques.
Ou un partenaire bancaire pourrait exiger d’un courtier des preuves de bonne gouvernance, de respect du RGPD, ou de procédures de traitement équitables pour les clients.
De même pour des plateformes de paiement comme Qonto ou Shine qui pourraient inclure des clauses ESG dans les contrats de distribution signés avec des IOBSP.
Il ne s’agit donc pas d’une obligation formelle imposée aux IOBSP par la directive, mais d’une pression par capillarité contractuelle : les grandes entreprises se protègent en exigeant des garanties de la part de leurs partenaires.
Quels impacts concrets ?
Déjà , certains IOBSP de taille moyenne ou ceux travaillant avec plusieurs partenaires de haut niveau rapportent avoir reçu :
des questionnaires ESG à remplir, portant sur leurs politiques RH, leur consommation énergétique, ou encore leur taux de satisfaction client;
Des demandes d’information sur leur politique de confidentialité, de gestion des données personnelles et de traitement équitable des clients vulnérables;
Des clauses contractuelles nouvelles prévoyant un droit d’audit ou de résiliation en cas de non-conformité éthique ou environnementale.
Cela peut représenter un changement de posture pour les structures habituées à n’être jugées que sur leurs performances commerciales. Avec ces textes, la manière dont vous traiterez vos clients, vos données et votre personnel entreront aussi dans l’équation.
Anticiper plutôt que subir
Plutôt que d’attendre des exigences venues d’en haut, les IOBSP ont intérêt à adopter une démarche proactive. Voici quelques pistes pratiques :
Mettre en place une charte éthique interne, incluant engagements sociaux (diversité, formation), environnementaux (réduction des déplacements, sobriété numérique) et sociétaux (qualité de l’information client)
Intégrer une section RSE dans le DER (Document d’entrée en relation), précisant les engagements de l’IOBSP;
Documenter les procédures de réclamation, traitement égalitaire, respect des données, accessibilité;
Participer à des formations ESG / finance responsable.
Analyse des risques et des opportunités
Le risque de ne pas s’adapter n’est pas que juridique, il est aussi commercial. Un IOBSP qui n’anticipe pas ces transformations peut :
- perdre l’accès à certains partenariats stratégiques;
- voir sa responsabilité engagée dans le cadre d’une chaîne de vigilance;
- Subir une atteinte à son image ou à sa notation (notamment si les banques référentes se dotent de grilles ESG internes)
À l’inverse, un IOBSP proactif peut transformer la contrainte en levier de performance :
- Meilleure image de marque;
- Relation client renforcée par des pratiques transparentes et sécurisantes;
- Intégration facilitée dans les nouveaux réseaux digitaux responsables.
La CSRD et la CSDDD marquent une évolution profonde du modèle économique européen.
Les IOBSP, bien que n’étant pas en première ligne, sont désormais impliqués de facto dans cette transformation.
Il ne s’agit plus uniquement de vendre un crédit ou une assurance.
Il s’agit aussi de le faire de façon conforme, traçable, et responsable.
En 2025, ceux qui l’auront compris n’auront pas seulement un avantage compétitif. Ils auront aussi une légitimité renforcée dans un monde où la finance durable devient la norme, et non plus l’exception.
Et si l’engagement ESG était, dès aujourd’hui, le véritable passeport professionnel du courtage de demain ?
Par Charles-Hubert MEYERGUE – Juriste à l’IEPB