Un signal fort à tous les professionnels soumis à la LCB-FT
Le 19 juin 2025, la Commission des sanctions de l’ACPR a infligé à la Banque Delubac & Cie un blâme et une amende de 600 000 euros pour de graves manquements à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Cette décision est un rappel utile et concret des exigences imposées par le Code monétaire et financier (CMF) à tous les professionnels assujettis, y compris les IOBSP, en matière de vigilance, de détection des risques et de déclarations à TRACFIN. Examinons les griefs retenus, un à un.
Un dispositif de gestion des risques inadapté – Grief 1
Ce que l’ACPR a reproché à la Banque Delubac :
Le système de détection automatisée des opérations atypiques n’intégrait ni la situation financière des clients, ni leurs comportements transactionnels réels, et négligeait des zones géographiques à risques ou certains secteurs d’activité sensibles. Il en résultait une incapacité à repérer efficacement les risques de BC-FT.
Ce qu’impose le CMF (Art. L.561-32 et R.561-38) :
Tout professionnel doit mettre en œuvre un dispositif proportionné à la taille de son activité, qui permet de surveiller efficacement les relations d’affaires à risque. Cela vaut pour les banques comme pour les courtiers.
Ce que doivent faire les IOBSP :
Même si les IOBSP n’ont pas d’obligation de disposer d’outils automatisés, ils doivent évaluer les risques clients selon une classification formalisée, conserver les preuves de cette évaluation, et adapter leur vigilance au profil du client. A ce sujet, je vous conseille de visionner mon podcast d’une heure sur la mise à jour de la LCB FT et la transposition de la 6ème directive. Vous y trouverez des informations pratiques et une fiche technique pour vous aider dans la détection et la hiérarchisation des risques.
Des alertes traitées tardivement ou superficiellement – Grief 2
Constat de l’ACPR :
27 000 alertes non traitées, dont un quart datant de plus de quatre mois, des classements sans suite sans analyse complète, et des clôtures de comptes décidées sans avis de la cellule LCB-FT et sans déclaration de soupçon à TRACFIN.
Obligations (Art. 4 de l’arrêté du 6 janvier 2021, L.561-10-2, L.561-15, L.561-16 CMF) :
Toute alerte doit être analysée rapidement. En cas de soupçon, une déclaration à TRACFIN doit être effectuée sans délai. Clôturer un compte ne dispense jamais de cette obligation.
Pour les IOBSP :
Ils doivent documenter toute suspicion dans le dossier client, et faire une déclaration de soupçon lorsqu’ils identifient un comportement ou une opération suspecte, même en l’absence de certitude sur l’origine des fonds.
Détection défaillante des liens avec des pays à risque – Grief 3
Constat :
La surveillance ne portait que sur les clients ayant eux-mêmes déclaré un lien avec des pays sensibles lors de l’entrée en relation. Or de nombreux flux transitaient vers des États figurant sur la liste du GAFI, sans alerte générée.
Obligations (L.561-10, R.561-20-4 CMF) :
L’obligation de vigilance renforcée s’impose pour tout lien avec des pays listés par le GAFI ou l’Union européenne. Il faut pouvoir identifier ces liens activement, et pas seulement à partir des déclarations initiales du client.
Pour les IOBSP :
En cas de financement ou de projet immobilier impliquant des pays à risque, le courtier doit redoubler de vigilance, interroger l’origine des fonds, et remonter toute incohérence détectée. A ce titre, et jusqu’à nouvel ordre, je vous rappelle que tout mouvement depuis ou vers Monaco doit faire l’objet d’une déclaration de soupçon.
Une vigilance renforcée mal appliquée – Grief 4
Constat :
Des clients placés en vigilance renforcée ne l’étaient que partiellement (certains comptes échappaient aux contrôles), et certains ne l’étaient pas du tout malgré une déclaration de soupçon ou une réquisition judiciaire.
Obligations (L.561-10-1 CMF) :
Toute relation d’affaires à risque élevé doit donner lieu à une surveillance accrue : fréquence des contrôles, seuils abaissés, justification renforcée des opérations.
Pour les IOBSP :
Cela implique de renforcer le suivi des clients ayant des profils à risque (sociétés écrans, flux incohérents, réquisitions fiscales ou judiciaires) même après l’octroi du prêt. Les documents justificatifs doivent être conservés.
Des examens renforcés retardés ou incomplets – Grief 5
Constat :
115 dossiers en souffrance, dont 66 en attente depuis plus de 120 jours. Certains clients présentaient des flux manifestement incohérents (comptes de passage, bénéficiaires douteux), mais sans qu’un examen renforcé n’ait été initié.
Obligations (L.561-10-2 CMF) :
Tout flux complexe, élevé ou incohérent doit faire l’objet d’un examen renforcé : interroger le client, recueillir les justificatifs, analyser la destination et l’origine des fonds.
Pour les IOBSP :
Ils doivent savoir alerter la banque ou TRACFIN s’ils constatent que les documents justificatifs ne correspondent pas à l’opération demandée. Ils sont également tenus de refuser une opération s’ils ont des doutes sérieux.
Déclarations de soupçon absentes ou insuffisantes – Grief 6
Constat :
Sur 120 dossiers analysés, 30 auraient dû faire l’objet d’une déclaration de soupçon. Opérations incohérentes, comptes de passage, sociétés dans des secteurs à risque, liens avec d’autres sociétés suspectes… tout y était.
Obligations (L.561-15, D.561-32-1 CMF) :
Une déclaration de soupçon doit être envoyée dès qu’un professionnel « a de bonnes raisons de soupçonner ». Il ne s’agit pas d’attendre une preuve, mais de signaler tout faisceau d’indices concordants.
Pour les IOBSP :
Ils doivent connaître les critères Tracfin (flux inhabituels, sociétés dormantes, activité incohérente, changement soudain de dirigeants) et agir dès qu’un doute sérieux apparaît.
Des déclarations trop tardives – Grief 7
Constat :
Des déclarations de soupçon ont été effectuées après exécution de l’opération, parfois avec plus de 180 jours de retard. Or plusieurs de ces opérations étaient répétées ou émanaient de groupes de sociétés déjà signalés.
Obligations (L.561-16 CMF) :
Un professionnel doit s’abstenir d’exécuter une opération suspecte tant qu’une déclaration de soupçon n’a pas été transmise, sauf exceptions précises. Si l’opération a déjà eu lieu, la déclaration doit être immédiate.
Pour les IOBSP :
Ils ne sont pas exécutants de l’opération, mais leur rôle est crucial : signaler sans attendre à la banque ou à Tracfin une anomalie détectée. La temporalité est un facteur clé de conformité.
Décision exemplaire, des leçons pour toute la profession.
La sanction infligée à la Banque Delubac n’est pas seulement une affaire interne à un établissement bancaire. Elle résonne comme un avertissement adressé à tous les acteurs du financement, y compris aux IOBSP. Trop souvent, les obligations de LCB-FT sont perçues comme des formalités sur lesquelles le professionnel peut émettre un jugement d’opportunité. Il n’en est rien ! Pourtant, comme le rappelle cette décision, un dispositif inefficace ou mal appliqué ouvre la porte à des risques majeurs : responsabilité pénale, réputation entachée, voire retrait d’agrément.
Pour les intermédiaires, il s’agit aussi d’une opportunité : celle de renforcer leurs procédures, former leurs équipes, documenter leurs décisions, et se positionner en véritables remparts contre le crime financier.
Jérôme CUSANNO
Directeur de l’iepb