Affaire CumCum : le Crédit Agricole choisit la transaction pénale

Coup de théâtre. Alors que le Sénat dénonçait en septembre le contournement du vote parlementaire par Bercy, c’est désormais le terrain judiciaire qui rebondit. Le Parquet National Financier (PNF) a annoncé la conclusion d’une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) avec Crédit Agricole CIB, filiale du groupe Crédit Agricole, dans le dossier explosif des arbitrages de dividendes.

La France se met à l’heure américaine. Car la CJIP, introduite par la loi Sapin II de 2016, reprend le modèle du Deferred Prosecution Agreement américain : une transaction pénale qui permet à une entreprise de mettre fin à des poursuites en payant une somme d’argent et en s’engageant à renforcer sa conformité.

Jusqu’alors étrangère à notre culture judiciaire, cette procédure est désormais bien installée en droit des affaires. Elle illustre un changement profond : plutôt que d’aller jusqu’au procès, on négocie. En échange d’un chèque souvent inférieur au montant maximal de l’amende encourue, le procureur considère avoir trouvé un équilibre entre efficacité économique et exigence répressive.

Incroyable pour certains, pragmatique pour d’autres.

Dans le cas présent, le Crédit Agricole reconnaît sa participation à des montages CumCum : prêts temporaires d’actions à des banques françaises pour éviter la retenue à la source sur les dividendes versés à des investisseurs étrangers.

  • Le schéma, répété à grande échelle, aurait privé l’État français de près d’un milliard d’euros par an.
  • Dès 2023, perquisitions avaient visé BNP Paribas, Société Générale, Natixis et HSBC.
  • Le Crédit Agricole a été la première banque à accepter de négocier.

Le résultat : un accord signé le 5 septembre 2025.

La CJIP conclue prévoit un versement total de 88,2 millions d’euros :

  • 46 millions d’euros correspondant à des arriérés fiscaux,
  • 39 millions d’euros d’amende d’intérêt public, justifiée notamment par des manquements dans le programme de conformité LCB-FT.

Comparé aux montants de fraude estimés (plusieurs milliards sur vingt ans), certains diront que le prix de la tranquillité reste modeste. D’autres y verront un signal fort : une banque de premier plan reconnaît publiquement sa faute et accepte une sanction.

La CJIP a un avantage incontestable : elle accélère la réponse judiciaire. Là où un procès aurait pris des années, la convention clôt le dossier en quelques mois. Mais elle soulève aussi des critiques :

  • N’est-ce pas une façon d’« acheter son innocence » ?
  • Comment expliquer aux contribuables qu’une banque puisse solder un scandale fiscal de plusieurs milliards avec un chèque de quelques dizaines de millions ?
  • Pourquoi accepter une négociation quand la loi votée par le Parlement prévoyait des sanctions plus lourdes ?

On s’arrange comme on peut… Mais que dire de telles pratiques de la part de nos partenaires bancaires ?

En acceptant la CJIP, le Crédit Agricole reconnaît implicitement que le montage CumCum est bel et bien frauduleux. Or, jusqu’ici, la ligne de défense de la place bancaire consistait à contester cette qualification.

Cette reconnaissance fragilise les positions de BNP, Société Générale, Natixis et HSBC, toujours sous enquête. Le PNF espère manifestement créer un effet domino : la première banque cède, les autres suivront-elles ?

Ce rebondissement intervient alors même que le Sénat dénonçait le mois dernier l’attitude du gouvernement, accusé de vider de sa substance la loi votée contre la fraude CumCum. L’adoption d’un décret favorable aux banques avait déjà provoqué la colère de Jean-François Husson.

Et maintenant ? Le Parlement est ignoré, et la justice accepte de négocier. Mais que fait l’ACPR, censée contrôler les établissements financiers et prévenir ce type de manquements ?

L’affaire CumCum devient un véritable révélateur :

  • un Parlement qui vote mais n’est pas entendu,
  • un gouvernement qui aménage,
  • une justice qui transige.

Et pendant ce temps, la facture s’élève pour les contribuables.

La CJIP du Crédit Agricole marque un tournant. Elle ouvre une nouvelle voie judiciaire, mais interroge sur la cohérence de notre État de droit. Peut-on sérieusement demander aux Français 40 milliards d’euros d’efforts budgétaires en 2026, tout en laissant les grandes banques solder leurs fraudes fiscales à prix négocié ?

Jérôme CUSANNO

Directeur de l’iepb. 

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