RÉMUNÉRATION DES COURTIERS-IOBSP : ENTRE RIGUEUR RÉGLEMENTAIRE ET ǪUÊTE D’INDÉPENDANCE.

« Une réforme devient nécessaire lorsque le cadre existant ne protège plus équitablement toutes les parties concernées, mais favorise au contraire les abus et les déséquilibres. »

Maillons essentiels de l’intermédiation financière, les courtiers en opérations de banque et en services de paiement (COBSP) se distinguent par leur capacité à guider les emprunteurs vers des solutions de financement sur mesure. Pourtant, leur modèle de rémunération, rigoureusement encadré et dépendant de la réussite des opérations, questionne leur indépendance et la portée de leur rôle de conseil. En écho aux libertés accordées à d’autres professions réglementées, cet article invite à une réflexion sur les limites d’un cadre contraignant et les opportunités d’une évolution plus équitable.

Les courtiers en opérations de banque et en services de paiement (COBSP), à l’image de nombreuses autres professions réglementées, fournissent un service de conseil, d’intermédiation et de diligence auprès de leur clientèle. Ils permettent aux emprunteurs en quête d’un financement idéal d’accéder à une expertise visant à maximiser les chances de concrétisation de leur projet tout en réduisant les coûts financiers.

Néanmoins, les règles qui régissent leur rémunération sont rigoureuses, notamment en ce qui concerne la rémunération au résultat (ou « au succès »), qui est la norme dans ce secteur.

À l’inverse, d’autres professions [d’intermédiation] réglementées, telles que les agents immobiliers, les avocats, les experts-comptables, entre autres, jouissent d’une flexibilité notable dans la perception de leurs honoraires, sans les mêmes restrictions liées au succès de leurs prestations.

Dans cet article, nous explorerons ces différences de traitement, en mettant en lumière les spécificités et les contraintes qui pèsent sur les COBSP. Nous proposerons également une réflexion critique sur la portée de leur rôle de conseil indépendant, souvent limité par les obligations légales et le manque d’autonomie face aux autres professions d’intermédiation.

Le courtier en opérations de banque : une rémunération tributaire du résultat.

Les courtiers-IOBSP jouent un rôle déterminant dans le processus d’obtention de crédits, qu’il s’agisse de prêts immobiliers, de crédits à la consommation ou de financements professionnels. Selon les articles L519-1 et suivants du Code monétaire et financier [1], ils sont soumis à une réglementation exigeante, qui inclut notamment un devoir de loyauté, d’information et de conseil envers leurs clients. [2]

À ce titre, l’article L519-1 [3] définit leur rôle comme suit : « Est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d’avantage économique, l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l’article L. 519-1-1. »

Toutefois, leur rémunération est principalement conditionnée par le succès de l’opération : le courtier ne perçoit des honoraires que si le crédit est effectivement octroyé, et ce, après le versement effectif des fonds prêtés. [4]

Ǫui plus est, cette rémunération « au succès » repose sur des honoraires payés par le client, auxquels peuvent éventuellement s’ajouter des commissions versées par l’établissement bancaire, mais elle est strictement encadrée. En vertu de l’article L313-1 du Code de la consommation [5], les courtiers ne peuvent exiger aucun versement préalable du client avant la signature de l’offre de crédit

Une particularité plaçant alors les COBSP dans une position d’attente, dépendant entièrement de l’aboutissement du projet pour être rémunérés, un modèle qui peut fragiliser leur indépendance vis-à-vis des établissements prêteurs voire fragiliser leur équilibre économique.

Les professions d’intermédiation et de conseil : une liberté étendue dans la fixation des honoraires.

À l’opposé, d’autres professions [d’intermédiation] réglementées bénéficient d’une plus grande souplesse dans leurs modalités de rémunération. Pour ne citer qu’eux, les agents immobiliers, les avocats, les experts-comptables et les courtiers d’assurances illustrent cette flexibilité grâce à des cadres réglementaires spécifiques et moins contraignants. Un agent immobilier, par exemple, peut percevoir une commission sur une vente sans limitation stricte, et ses honoraires peuvent être librement négociés, sans contrainte d’un modèle de rémunération exclusivement au résultat. Bien que la loi Hoguet [6] impose un certain cadre à la profession immobilière, les modalités de rémunération restent bien plus flexibles que celles imposées aux courtiers.

Les avocats, quant à eux, sont libres de négocier des honoraires au temps passé, au forfait ou encore au résultat (en complément d’un honoraire de base), cette liberté contractuelle étant prévue à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques [7] Cela leur permet de valoriser leurs compétences et leur expertise en amont de la réussite éventuelle d’un dossier.

Les experts-comptables, de même, privilégient une facturation basée sur des forfaits ou des honoraires fixes, dissociés des résultats obtenus, ce qui leur confère une indépendance et une relation stable avec leurs clients.

De leur côté, les courtiers d’assurances perçoivent leurs rémunérations principalement sous forme de commissions, indépendamment de l’issue des opérations, leur permettant également de préserver leur autonomie et d’assurer une relation équilibrée avec leur clientèle.

Une analyse critique : les courtiers face à une indépendance illusoire.

Une question émerge de cette comparaison : quelle est la réalité de l’indépendance des courtiers-IOBSP ? Bien qu’ils soient tenus de fournir un conseil objectif et d’agir dans l’intérêt de leurs clients, le fait que leur rémunération soit directement liée au succès de l’opération peut créer une tension implicite entre leurs obligations de loyauté et les impératifs de rentabilité. Ce lien conditionnel à l’obtention du crédit pourrait compromettre leur autonomie dans le choix des produits financiers et, par conséquent, limiter la portée de leur conseil.

En effet, selon l’article L519-1-1 du Code monétaire et financier [8], les COBSP peuvent prodiguer des conseils indépendants en matière de crédit, à l’exclusion des opérations de regroupement de crédits prévues aux articles L314-10 à L314-14 du Code de la consommation [9], une restriction qui les cantonne souvent à un rôle perçu comme partiellement indépendant et réduit leur champ d’action. Cette contrainte limite les possibilités d’un conseil véritablement personnalisé, bien que le client puisse tirer profit d’une orientation vers un regroupement de crédits, une option qui reste cependant exclue du champ d’intervention des COBSP en matière de conseil indépendant.

Autrement dit, le service de conseil prévu à l’article L519-1-1 est exclusivement limité aux seules opérations relatives à des contrats de crédit immobilier. [10] À l’aune de la Directive (UE) 2023/2225 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relative aux contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 2008/48/CE, le service de conseil devrait s’étendre au crédit à la consommation en novembre 2025. Pour l’heure, il est toutefois regrettable de constater que cette extension se limitera au crédit à la consommation, excluant ainsi d’autres opérations de financement, notamment celles relatives au regroupement de crédits.

Vers une réforme nécessaire pour une rémunération plus juste des courtiers-IOBSP.

Face aux enjeux soulevés, une réflexion approfondie sur la réglementation actuelle des courtiers-IOBSP apparaît indispensable. Ces professionnels occupent une position stratégique dans l’intermédiation financière, opérant toutefois dans des domaines et secteurs très diversifiés : crédits immobiliers, financements professionnels, prêts à la consommation ou encore regroupement de crédits. Chacune de ces spécialités s’accompagne de missions spécifiques, de méthodes de travail distinctes et de contraintes propres, mais elles sont toutes soumises à une réglementation uniforme, rigide, et parfois floue.

Pourquoi une profession si cruciale est-elle bridée par des règles restrictives, là où d’autres professions réglementées bénéficient d’une plus grande flexibilité ? Cette question devient d’autant plus pertinente à l’heure où le modèle de rémunération des courtiers pourrait être révisé pour inclure des honoraires plus stables, tels que des

forfaits pour le travail préparatoire, les démarches institutionnelles ou les conseils, indépendamment du résultat final.

Au-delà de la dérogation limitée prévue par l’article L519-6-1 du Code monétaire et financier, il serait opportun de permettre aux courtiers-IOBSP [en crédit immobilier] de percevoir des honoraires distincts pour leurs prestations de conseil, comme c’est le cas dans d’autres professions. Cette évolution renforcerait leur indépendance et leur transparence envers leurs clients, tout en assurant un conseil mieux adapté et libéré de toute pression liée à la réussite des opérations.

D’ailleurs, un jugement récent, analysé par Maître Laurent Denis [11], illustre une situation fréquente : certains clients tentent de se soustraire au paiement des honoraires des courtiers, malgré le travail accompli et l’obtention du crédit.

  • Un jugement équitable mais insuffisant : dans ce cas précis, le tribunal a condamné le client à régler les honoraires du courtier et une partie des frais de justice (700 euros). Pour autant, aucune indemnité n’a été accordée pour résistance abusive, bien que la mauvaise foi du client soit manifeste. Le faible montant du litige (moins de 5.000 euros) a rendu le jugement définitif et insusceptible d’appel, soulignant les limites actuelles de la protection des courtiers. [12]
  • Un cadre normatif à revoir : cette décision met en évidence une faille dans la réglementation actuelle : l’obligation pour les courtiers-IOBSP de différer leur rémunération jusqu’à la mise à disposition des fonds, bien qu’elle soit prévue pour protéger les emprunteurs, et parfois utilisée par des clients de mauvaise foi pour éviter de payer. Pour éviter de telles dérives, il serait pertinent de réviser les articles L519-6 du Code monétaire et financier et L322-1 du Code de la consommation [13] permettant ainsi aux courtiers de percevoir leur rémunération dès l’exécution de leurs prestations. Une telle réforme renforcerait la sécurité juridique et limiterait les abus, tout en respectant les engagements contractuels des parties.
  • Un rappel essentiel : la qualité d’un service a un prix : cette affaire démontre un principe fondamental : un courtier qui a rempli sa mission ne peut être privé de sa rémunération. Le courtage n’est pas un acte gratuit, et la reconnaissance de la qualité du service passe par le respect des engagements pris. Une refonte est nécessaire pour garantir une relation commerciale équitable et protéger les droits des courtiers, tout en répondant aux attentes des clients dans un cadre plus sécurisé.

Conclusion

En somme, les courtiers-IOBSP remplissent une mission stratégique dans le paysage financier, offrant une expertise reconnue et essentielle pour orienter les clients vers des solutions de financement adaptées à leurs besoins.

Dans un contexte où une part significative de la population française exprime une certaine défiance envers les banques traditionnelles, comme l’indiquent plusieurs enquêtes récentes, l’importance de recourir aux services des courtiers se fait d’autant plus ressentir. Ces derniers, en vertu de leurs obligations de loyauté et de conseil, sont tenus d’agir dans l’intérêt de leurs clients, mais les modalités strictes qui encadrent leur rémunération au résultat limitent leur indépendance et, par conséquent, la portée de leur conseil.

Contrairement à d’autres professions d’intermédiation réglementées, qui bénéficient d’une plus grande liberté dans leurs modalités d’honoraires, les courtiers apparaissent désavantagés par ce modèle rigide, soulevant des interrogations quant à la cohérence du cadre réglementaire actuel.
Pour garantir un conseil réellement indépendant et valoriser pleinement l’expertise des courtiers, une réforme pourrait être envisagée pour introduire plus de souplesse dans leurs modalités de rémunération. Une telle évolution permettrait non seulement de renforcer la confiance des clients, en répondant à leur besoin d’accompagnement juste et honnête, mais aussi de satisfaire aux enjeux croissants d’équité, de transparence et d’objectivité dans les relations de conseil financier.

Dorian-Jacob Le Bay

Juriste – Legal Designer

Droit des affaires : droit de la distribution bancaire, droit des assurances, droit du numérique et droit des entreprises en difficulté

dorian-jacob.lebay chez objectifprojet.fr

Notes de l’article:

  1. Code monétaire et financier.
  2. Voir notamment : article 1104 du Code civil et article L519-4-1 du Code monétaire et financier.
  3. Article L519-1 du Code monétaire et financier.
  4. Article L519-6 du Code monétaire et financier.
  5. Article L313-1 du Code de la consommation.
  6. Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.
  7. Article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
  8. Article L519-1-1 du Code monétaire et financier.
  9. Articles L314-10 à L314-4 du Code la consommation.
  10. Article L519-6-1 du Code monétaire et financier.
  11. https://www.village-justice.com/articles/pour-echapper-paiement-courtier-iobsp- credit-les-clients-doivent-demontrer-que,50708.html
  12. Tribunal judiciaire de Meaux, le 26 juin 2024 n°24/01763.
  13. Article L322-1 du Code de la consommat

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