La directive [2008/48] vise-t-elle à sanctionner un prêteur en raison de son évaluation incomplète de la solvabilité du consommateur, même dans le cas où le consommateur a remboursé intégralement le crédit et n’a fait valoir
aucun grief à l’encontre du contrat au cours du remboursement du crédit ?
Ayant arpenté les couloirs de Bruxelles, et de son métro, pendant quelques années, j’ai conservé ce réflexe de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, autrement dit de regarder ce qui se passe chez nos voisins européens. La construction du droit européen me passionne et j’ai trouvé un arrêt de la CJUE 11/01/2024. Cet arrêt m’a interpelé, d’abord parce qu’il a trait au financement et aux obligations des prêteurs, mais aussi parce que je trouvais que la sanction tendait à créer une hiérarchie normative, tant je la trouvais sévère au regard de la situation. Je vous livre mon analyse.
Le clou du sujet est l’octroi de prêt à la consommation et l’application de la Directive sur le Crédit à la Consommation et notamment dans ses articles 8 et 23.
Une Directive pour quelles raisons ?
Une directive est un texte normatif de la Commission Européenne et qui a toujours pour but une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés, harmonisation qui est considérée comme étant nécessaire pour assurer à tous les consommateurs de l’Union Européenne un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts, et pour faciliter l’émergence d’un marché intérieur performant.
La directive crédit à la consommation vise donc à mettre en place un marché européen du crédit qui réponde aux mêmes obligations et aux mêmes protections du consommateur-emprunteur sur tout le territoire de l’Union.
L’article 8 de la directive crédit à la consommation vise à protéger les consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité. L’article 23 instaure, quant à lui, des sanctions en cas de non-respect des obligations du prêteur.
Quel était le souci ?
Je vous emmène à Prague, République tchèque, où un client a contracté un prêt à la consommation de 50 000 Couronnes tchèques, soit environ 2000 €, auprès d’une banque. La République tchèque n’est pas encore dans la zone euro. Le client a fourni, en amont de la conclusion du contrat, certaines informations relatives à sa solvabilité. Il a remboursé le crédit et versé l’intégralité des sommes dues pour 3 500 € (2 000 € ainsi que les intérêts et frais annexes). Jusqu’ici, donc, tout va bien.
Cependant, une cession de créance intervint entre le consommateur et une société commerciale par laquelle l’emprunteur a cédé, à ladite société, «les créances qu’il aurait pu faire valoir à l’encontre du prêteur au titre du contrat de crédit à la consommation». Un peu tiré par les cheveux, car ici, le client s’est donc aperçu, et on s’en doute, pas seul, qu’il y avait eu une irrégularité dans son contrat de crédit qui pouvait faire naître des dommages et intérêts, objet de la créance cédée ! On est dans la science du droit. Au-delà de ce point qui ressemble à du calcul, la suite est intéressante.
La société qui a racheté la créance a donc assigné la banque devant le Tribunal de district de Prague-Ouest. Elle arguait, en effet, que le contrat de crédit initial est nul dans la mesure où le prêteur a manqué à son obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur. La banque s’en est défendue et a avancé, au demeurant, que le prêt a de toute manière été exécuté intégralement. Le tribunal de district a été pris d’une hésitation sur la solution à retenir et a décidé de demander à la CJUE ce qu’il fallait répondre au regard de la violation de l’article 8 de la Directive, article je le rappelle qui emporte obligation pour le prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur.
En droit tchèque, si la solvabilité de l’emprunteur n’a pas été correctement vérifiée, cela entraîne la nullité du contrat de prêt. Par voie de conséquence, le contrat de prêt n’ayant jamais existé, puisque frappé de nullité, en réglant les intérêts et les frais, il y a eu paiement de l’indu.
Et en droit français alors ?
En droit français, le non-respect par une banque de l’obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, telle que prévue à l’article L312-16 du Code de la consommation, peut entraîner plusieurs sanctions, mais pas la nullité du contrat.
La sanction pour le non-respect par une banque de l’obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur est énoncée à l’article L341-34 du même Code. Selon cet article, si un prêteur n’a pas respecté cette obligation, il peut être déchu du droit aux intérêts du prêt. Cela signifie que l’emprunteur ne sera tenu de rembourser que le capital emprunté, sans les intérêts. Cette sanction vise à responsabiliser les prêteurs dans l’octroi de crédits et à protéger les consommateurs contre les risques de surendettement. Le juge peut décider que le prêteur ne peut plus percevoir les intérêts.
La rédaction du texte français fait appel au principe de proportionnalité de la sanction et engage le juge à recourir à la moins contraignante, étant entendu que, en tout état de cause, les inconvénients causés par la mesure concernée ne doivent pas être démesurés par rapport aux objectifs du texte.
N’oublions pas que le prêt a été remboursé sans encombre, et on ne peut pas dire que l’emprunteur ait subi des conséquences dommageables puisque finalement le prêt avait des caractéristiques tout à fait normales.
Cet arrêt emporte un enjeu majeur.
Il fallait donc choisir entre d’une part, la suprématie de l’article 8 de la Directive sur le crédit à la consommation, ou d’autre part, d’offrir la possibilité de contrôler a posteriori les caractéristiques d’un prêt accordé sans évaluation scrupuleuse de la solvabilité de l’emprunteur.
La Cour de l’Union a tranché en faveur de la suprématie de l’article 8 de la Directive, faute de quoi, cela aurait pu être interprété comme étant susceptible de favoriser le non-respect, par les prêteurs, de l’obligation qui leur incombe. En effet, ceux-ci pourraient être ainsi incités à ne pas procéder à une évaluation systématique et exhaustive de la solvabilité de l’ensemble des consommateurs auxquels ils octroient des crédits, ce qui serait contraire aux finalités de responsabilisation des prêteurs et de prévention de pratiques irresponsables lors de l’octroi de crédits à des consommateurs.
Une telle interprétation serait, au demeurant, susceptible de porter atteinte au caractère réellement dissuasif de la sanction prévue. La messe est ainsi dite !
Il convient de vous rappeler que les courtiers et les mandataires de banque entrent dans la chaîne d’analyse de la solvabilité de l’emprunteur, avec à mon sens, un risque accru pour le mandataire. En effet, il ne serait pas surprenant qu’une banque-mandante, en cas de pareil litige, estime que par le mandat, la banque entendait se décharger de cette analyse sur son mandataire et que si cette obligation a été mal remplie, la faute et les conséquences incomberaient au mandataire.
Jérôme CUSANNO.
Directeur de l’IEPB.

