Une jurisprudence récente étend la responsabilité du courtier au-delà du raisonnable
Maître Katarzyna Hocquerelle (www.avocatlegal.com)
Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr)
Katarzyna Hocquerelle, Avocat, accompagne les professionnels dans la maîtrise juridique de leurs pratiques commerciales.
Laurent Denis, Avocat, enseigne, publie et défend la rigueur du droit bancaire et assurantiel.
Dans un arrêt du 2 avril 2025 (CA Paris, n° 23/03531), la Cour d’appel confirme la condamnation d’un courtier en prêts immobiliers, jugé responsable d’un défaut d’information et d’un manquement à son obligation de conseil. Ce qui interpelle, c’est que cette responsabilité est retenue alors même qu’aucune offre de prêt n’a été signée.
En cause ? Une omission d’information sur la démolition préalable d’un bien,
jugée décisive par la seule banque prête à financer le projet. L’oubli aura suffi à tout faire échouer – et à engager lourdement la responsabilité du courtier. Montant de l’indemnisation : plus de 28.000 €, au titre des frais engagés (notamment d’architecte).
1. Les faits : une opération de financement interrompue par un défaut d’information
Le litige trouve son origine dans un projet de construction immobilière engagé par un couple en 2018. Un mandat de recherche de financement est confié à un courtier (novembre 2018). Une banque donne un accord de principe sans réserve, et la fiche de conseil est remise en juillet 2019. Mais au moment de signer, la banque refuse d’émettre l’offre, découvrant que le bien avait fait l’objet d’une démolition préalable – une information que le courtier n’avait pas communiquée.
Aucun autre financement n’est obtenu. Les clients assignent le courtier en responsabilité.
2. Les motifs de la décision : extension du devoir de conseil et défaut d’information
Le Tribunal judiciaire de Bobigny, puis la Cour d’appel de Paris, retiennent successivement plusieurs griefs à l’encontre du professionnel :
2.1. Manquement à l’obligation d’information
Le courtier disposait d’une information essentielle, et ne l’a pas transmise à la seule banque prête à financer le projet. Ce défaut d’information, jugé déterminant, a directement entraîné le refus de prêt.
2.2. Violation de l’obligation de conseil (article R. 519-28 CMF)
Malgré l’absence de contrat de prêt signé, les juges estiment que le courtier a conseillé une solution inadaptée et mal calibrée au regard du profil de ses clients. Une application extensive du devoir de conseil, pourtant réservé par la loi à des situations où une offre de prêt existe.
2.3. Responsabilité étendue aux frais annexes
Le courtier est condamné à rembourser les frais engagés “dans le cadre de la mission de courtage”, notamment les honoraires d’architecte, au motif qu’ils ont été réalisés à sa demande ou sous son impulsion.
3. Critiques et inquiétudes sur l’argumentaire judiciaire
L’arrêt soulève plusieurs réserves notables :
- Redéfinition du contrat de courtage : le juge écarte la qualification juridique du mandat, malgré la clarté du droit positif.
- Confusion des rôles dans la chaîne bancaire : le courtier est réputé responsable de la recherche d’un cautionnement, habituellement géré par la banque.
- Indemnisation d’un préjudice moral sans preuve ni évaluation : une compensation est accordée au nom du “raté” de la mission, sans base factuelle précise.
- Appréciation rétroactive du conseil : la responsabilité est retenue sans qu’un prêt n’ait été octroyé, à rebours de la lettre et de l’esprit du CMF.