Prêts en francs suisses : La Cour de Cassation rappelle ce qu’est le devoir de mise en garde !

C’est une première en France, et elle pourrait bien ouvrir la voie à une cascade de recours : plusieurs frontaliers ayant contracté des prêts immobiliers libellés en francs suisses viennent d’obtenir gain de cause devant la justice. Trois jugements du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, confirmés en appel à Lyon en mars 2025, ont annulé des prêts contractés auprès du Crédit Mutuel. En cause : un manquement de la banque à son devoir d’information sur les risques liés au change. Le droit, enfin, se met à la hauteur d’une réalité économique que beaucoup d’emprunteurs ont durement appris à leurs dépens.

Les décisions judiciaires pointent du doigt un défaut d’information manifeste. Le Crédit Mutuel, qui proposait des crédits immobiliers en francs suisses à des emprunteurs résidant en France mais percevant leurs revenus en francs suisses, n’aurait pas respecté son obligation de clarté. Les clauses relatives au risque de change étaient, selon le tribunal et la cour d’appel, ni claires ni compréhensibles — même pour des emprunteurs frontaliers supposés familiers de cette devise.

Ce jugement vient rappeler avec force que la complexité des mécanismes financiers ne saurait exonérer l’établissement prêteur de ses responsabilités. Les banques ne peuvent se réfugier derrière des formulations juridiques obscures ou des clauses génériques de décharge pour se dérober à leur devoir fondamental : informer loyalement, clairement, complètement.

Un crédit en devise étrangère, même quand les revenus sont perçus dans la même monnaie, présente un risque de change non négligeable, notamment lorsque le capital emprunté et remboursé n’est pas strictement indexé à cette devise, ou si les modalités de remboursement masquent un différentiel de taux ou de parité. En cas de dépréciation de l’euro, les emprunteurs peuvent se retrouver avec des mensualités qui explosent, voire une dette résiduelle supérieure au montant initialement emprunté.

Or, comprendre ce risque suppose une certaine culture financière. Il ne suffit pas de mentionner le risque : il faut l’expliquer. Dans les dossiers jugés, les juges ont estimé que les emprunteurs n’avaient pas eu les moyens d’appréhender concrètement la portée du risque encouru.

Le Crédit Mutuel, comme d’autres établissements à l’époque, avait pris soin de faire signer une clause de décharge par laquelle l’emprunteur reconnaissait avoir été informé et acceptait les risques. Cette clause devait protéger la banque en cas de litige.

Mais la justice a tranché : une telle décharge ne suffit pas. C’est un enseignement fondamental : faire signer une clause ne dispense pas le professionnel d’expliquer. En réalité, faire signer une décharge peut être perçu comme un aveu anticipé de la complexité du produit proposé. Et si l’on sait pertinemment que le client ne comprendra pas, ne doit-on pas justement s’abstenir de proposer ce type de contrat ?

Le droit français impose à tout professionnel de fournir une information claire, exacte et complète. S’agissant des établissements de crédit, cette obligation est renforcée, notamment par l’article L. 312-8 du Code de la consommation (ancien article L. 311-6) qui prévoit que l’offre préalable de crédit doit comporter les informations permettant à l’emprunteur de mesurer l’impact de l’opération proposée sur sa situation financière.

Dans cette affaire, les magistrats ont estimé que le contrat ne remplissait pas ces exigences. Les clauses relatives au risque de change ont été jugées abusives, ce qui a conduit à l’annulation des prêts, et donc à l’effacement des pertes et des intérêts. C’est très rare, mais quand ça tombe, ça fait mal. 

Ces décisions posent aussi une question cruciale pour les intermédiaires en opérations de banque : comment prévenir ce genre de dérive ? La réponse passe sans doute par une évolution du document d’entrée en relation (D.E.R.). Ce document, remis à tout prospect en amont de l’analyse de ses besoins et de la présentation de solutions, pourrait — devrait — intégrer des mentions spécifiques en cas de crédit en devise étrangère.

Des questions ciblées sur la connaissance des risques de change, l’expérience antérieure de l’emprunteur avec les devises, ou encore sa capacité à absorber des variations de parité, permettraient de tracer un fil de conformité et de protéger à la fois le client et l’intermédiaire.

Contrairement à la banque, qui n’est pas tenue à un devoir de conseil, le courtier, lui, l’est ! Cette obligation, née de la jurisprudence et confirmée par la loi, suppose que le courtier alerte l’emprunteur sur les risques non perceptibles pour un non-professionnel averti.

C’est là tout l’intérêt de passer par un courtier : le professionnel, en tant que mandataire du client, n’est pas simplement un distributeur de produits bancaires. Il est un conseiller, un filtre, un protecteur. En tout cas, il devrait l’être.

Contrairement à une idée encore trop répandue, la banque n’est pas tenue à un devoir de conseil, mais elle reste soumise au devoir de mise en garde dès lors que l’emprunteur n’est pas averti. Ce devoir, consacré par la jurisprudence (notamment Cour de cassation, Chambre mixte, 29 juin 2007, 05-21.104), impose à l’établissement prêteur d’alerter l’emprunteur des risques liés à l’opération de crédit, notamment en cas d’endettement excessif ou de produit complexe, comme un crédit en devise étrangère.

De son côté, le courtier en opérations de banque et services de paiement, comme ses MIOB, en sa qualité d’intermédiaire agissant sur mandat du client, est soumis non seulement à ce même devoir de mise en garde, mais aussi à un devoir de conseil et de préconisation au titre des articles L519-4-1 et R519-28 du Code monétaire et financier. Ces obligations impliquent que le courtier doit proposer une solution adaptée à la situation financière, patrimoniale et aux objectifs de l’emprunteur, en s’assurant de la compréhension du produit proposé.

En résumé :

  • La banque doit mettre en garde, mais pas conseiller.
  • Le courtier, lui, doit mettre en garde, conseiller et justifier sa préconisation.

En l’espèce, un courtier consciencieux aurait probablement orienté son client vers un autre produit ou, à défaut, formulé un avertissement écrit sur les risques spécifiques d’un crédit libellé en francs suisses.

Dès lors, passer par un courtier n’est pas seulement une option : c’est une garantie juridique renforcée pour l’emprunteur, surtout face à des produits à risque comme les crédits en francs suisses. Encore faut-il que le professionnel respecte ses obligations, ce qui suppose une documentation rigoureuse et une traçabilité dans l’analyse des besoins du client.

Cette série de jugements, rendue en 2025, est la première en France à reconnaître explicitement que des emprunteurs frontaliers ont été lésés du fait d’un défaut d’information sur le risque de change. Le cabinet Dana Avocats, à l’origine de ces recours, ouvre une brèche. D’autres dossiers suivront. Car ces prêts en francs suisses, proposés en masse dans les années 2000 à 2010, ont concerné des milliers de familles. Certaines ont vu leur dette s’envoler sans comprendre pourquoi. D’autres n’ont jamais pu revendre leur bien, tant la plus-value espérée s’est évaporée avec la chute de l’euro.

L’effet de ces jugements dépasse le cas des seuls frontaliers. Ils interrogent l’ensemble des pratiques bancaires en matière de produits à risque. Ils rappellent que l’ingénierie financière n’exonère pas le banquier de la transparence. Ils posent aussi la question de la responsabilité morale : proposer un prêt que l’on sait incompris n’est-ce pas déjà trahir le principe de loyauté dans la relation commerciale ?

Enfin, ces décisions pourraient forcer les établissements à réviser leurs contrats types, à renforcer leur documentation, et à former davantage leur personnel sur les devoirs d’information.

Ce que les tribunaux rappellent ici, c’est qu’un contrat ne peut se cacher derrière des formules creuses et des clauses obscures. Le consentement n’est valable que s’il est éclairé. La force du droit, ici, vient rétablir l’équilibre rompu entre le sachant (la banque) et le profane (l’emprunteur), et si l’intermédiation était ici la solution à mettre en exergue ? 

Les crédits en francs suisses ont laissé des traces douloureuses. Il était temps que la justice rende leur dignité à ceux qui en ont souffert. Et que les professionnels — banquiers comme courtiers — en tirent des leçons durables.

Jerome CUSANNO

Directeur de l’IEPB.

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