Obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin : lignes directrices 2025, nouveautés pour les IOBSP

Le 23  avril 2025, l’ACPR et Tracfin ont publié une mise à jour majeure de leurs lignes directrices conjointes portant sur la vigilance des opérations et la déclaration de soupçons.

Depuis la précédente version de 2018, le contexte réglementaire, technologique et jurisprudentiel a considérablement évolué, rendant nécessaire un renforcement des dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Les intermédiaires en opérations de banque et des services de paiement (IOBSP) sont pleinement concernés par ces nouvelles exigences, qui insistent désormais davantage sur la surveillance des opérations, l’approche par les risques, l’usage maîtrisé des technologies, et la réactivité dans les déclarations.

Cet article intervient dans le cadre de faire comprendre aux IOBSP les différentes attentes que ces lignes directrices leur imposent, et ce, pour éviter de tomber sous le coup de sanctions en cas de défaillance.

1. Nature juridique des lignes directrices

Elles présentent une analyse des textes en vigueur concernant l’obligation de vigilance sur les opérations et l’obligation de déclaration et d’information à Tracfin ainsi que leurs conséquences sur les différentes étapes du processus conduisant, le cas échéant, à une déclaration de soupçon (ci-après « DS »)1.Elles intègrent des mesures de vigilance qui se distinguent selon leur intensité et dépendent, notamment, du risque présenté par le client et par les opérations2 :  

  • l’obligation de vigilance constante prévue par l’article L. 561-6 et précisé aux articles R. 561-12 ainsi qu’à l’article 4 de l’arrêté du 6 janvier 2021 ;
  • l’obligation de mettre en œuvre des mesures de vigilance complémentaires dans les cas prévus à l’article L. 561-10, notamment pour les PPE et les opérations effectuées vers des pays à risque ;
  • l’obligation de mettre en œuvre des mesures de vigilance renforcées, conformément à l’article L. 561-10-1, dans les situations présentant des risques élevés de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (ci-après « BC-FT ») ;
  • l’obligation d’effectuer un examen renforcé de toute opération, qu’elle soit effectuée par un client occasionnel ou en relation d’affaires, présentant au moins l’un des quatre critères énoncés à l’article L. 561-10-2
    Les lignes directrices de l’ACPR et Tracfin sont des documents de droit souple. Celles-ci se présentent avec les caractéristiques suivantes :
    Non contraignantes formellement, elles exposent néanmoins la doctrine des autorités de contrôle.

Le respect de ces lignes est vérifié lors des contrôles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et tout écart doit être justifié.

Pour les IOBSP, leur application est donc fortement conseillée pour éviter des sanctions.

2. Surveillance des opérations : un focus renforcé pour les IOBSP

La surveillance des opérations devient un axe aussi important que la connaissance client (KYC). L’approche par les risques doit s’appliquer à la fois à l’entrée en relation et tout au long des opérations. Les IOBSP doivent notamment surveiller les flux financiers liés aux crédits accordés, regroupements de crédits ou refinancements.

Le défaut3, par le fait pour un organisme financier, de ne pas être en mesure de démontrer qu’il a effectué les diligences ou analyses nécessaires constitue un manquement à l’obligation d’examen renforcé qui peut être sanctionné. Cela se comprend également pour les IOBSP, car ils sont pleinement dans l’accomplissement des opérations de banque, malgré leur statut d’intermédiation.

Il est crucial d’évoquer les nouveautés insérées par celles-ci en 2025 :

  • Le profil de risque du client doit être mis à jour régulièrement en fonction de l’activité observée.
  • Les anomalies doivent être rapidement identifiées, analysées et tracées.

Comme on le sait, avant le montage de tout dossier par les IOBSP, ils doivent procéder à l’analyse profonde de la fiche de dialogue, qui n’est pas un simple document administratif, mais un outil central de compréhension et de personnalisation du conseil. Elle est exigée par l’article L.519-4-1 du Code monétaire et financier, qui impose à l’intermédiaire de fournir au client des informations relatives à son identité professionnelle, ses conditions d’exercice, et ses éventuels liens avec des établissements prêteurs. 

Au même moment, l’intermédiaire s’assure d’explorer le projet du client de manière approfondie. Il collecte des données précises sur la situation familiale (célibataire, en couple, avec ou sans enfants), le statut de logement (locataire, propriétaire), les ressources (salaires, pensions, allocations) et les charges (loyers, pensions, mensualités en cours). 

L’objectif est de dresser un portrait financier fidèle du foyer et surtout d’identifier les anomalies ainsi que les risques éventuels avant d’envisager le dépôt du dossier auprès de l’établissement financier, en vue de l’octroi du crédit. Bien évidemment, l’intérêt est d’éviter le financement d’une opération suspecte.

 Exemple spécifique pour un IOBSP :

Multiplication de crédits relais pour des clients au profil économique faible suppose automatiquement un déclenchement d’une vigilance accrue.

3. Intelligence artificielle et outils automatisés

Le recours à l’intelligence artificielle (IA) dans les dispositifs de surveillance est désormais reconnu, à condition :

  • De conserver un pilotage humain rigoureux à toutes les étapes.
  • De documenter les paramétrages et les seuils.
  • De surveiller la performance des outils (ex : taux de conversion des alertes en déclarations de soupçons).

Important pour les IOBSP :


Vous ne pouvez pas vous reposer uniquement sur l’IA pour détecter les opérations atypiques. L’aspect humain est également à prendre en considération à côté des autres outils numériques.

4. Nouveaux risques identifiés pour les IOBSP

La mise à jour de ces lignes directrices précisément avec la version 2025 met en lumière de nouveaux risques4 :

  • Fraude documentaire : Usage de faux documents ou deepfakes lors de demandes de crédit.
  • Retraits en espèces importants : Même sans relation d’affaires établie (ex : retraits suspects via carte bancaire d’une personne inconnue).
  • Crypto-actifs : Surveillance accrue sur tout financement ou remboursement de prêt lié à des actifs numériques.

5. Déclarations de soupçon : précisions pratiques

Les fondamentaux restent les mêmes :

  • Soupçon = déclenchement de la DS5, sans attendre de preuve formelle.
  • Transmission via ERMES à Tracfin.

Mais avec ces nouvelles directives, des nouveautés et précisions rentrent en jeu pour en 2025 :

  • Le délai de déclaration commence au moment où l’opération devient suspecte, non au moment du déclenchement d’une alerte interne.
  • DS sur non-client : Obligation de déclarer même si la personne n’est pas votre client (cas des retraits en DAB par carte inconnue).
  • Partage intra-groupe des informations liées aux déclarations autorisé et précisé.

6. Jurisprudence ACPR : leçons pour les IOBSP

La Commission des sanctions a renforcé ses attentes :

  • Défaut de surveillance effective sanctionné.
  • Absence de DS ou retard lourdement pénalisé.
  • Utilisation défaillante des outils automatisés critique.

Pour les IOBSP, il est vital d’avoir une traçabilité complète de l’analyse des opérations et des décisions prises.

7. Recommandations pratiques pour les IOBSP

ActionObjectif
Mettre à jour la cartographie des risquesIntégrer IA, PSAN, deepfakes, non-clients
Vérifier les dispositifs d’alerteAméliorer le taux de conversion des alertes
Former régulièrement les collaborateursFocus sur surveillance opérationnelle et fraudes modernes
Mettre en place des procédures spécifiques pour les non-clientsSurveillance des opérations atypiques aux DAB
Assurer la gouvernance humaine des outils automatisésDocumenter et justifier

Les IOBSP doivent rapidement intégrer les nouveautés 2025 dans leur dispositif de LCB-FT :

  • Surveillance dynamique des opérations,
  • Maîtrise de l’intelligence artificielle,
  • Déclarations de soupçon adaptées aux nouvelles pratiques criminelles.

La lecture attentive et l’application rigoureuse des lignes directrices ACPR-Tracfin 2025 est non seulement recommandée, mais indispensable pour éviter tout risque de sanction, protéger la réputation de l’entreprise et contribuer à l’intégrité du système financier.

Par Bachir BORAUD

Juriste à l’iepb.

Notes de bas de page :

  1.  Lignes directrices conjointes de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution et de Tracfin relatives aux obligations de vigilance sur les opérations et aux obligations de déclaration et d’information à Tracfin, document de nature explicative, version actualisée avec mise à jour des dispositions législatives et réglementaires au 22 janvier 2025.  ↩︎
  2. 20220404_lignes_directrices_revisees_relatives_identification_verification_connaissance.pdf  ↩︎
  3. Cf Décision de la Commission des sanctions de l’ACPR rendue le 25 novembre 2013, procédure n°2013-01, page 12 ; Décision de la Commission des sanctions rendue le 22 décembre 2014, procédure n°2014-06, page 4 ; Décision de la Commission des sanctions rendue le 29 juillet 2016, procédure n°2015-10, paragraphe 40 ; Décision de la Commission des sanctions rendue le 8 décembre 2016, procédure n°2015-08, pages 17 et 18, Décision de la Commission des sanctions rendue le 28 décembre 2016, procédure n°2016-01, page 12, Décision de la Commission des sanctions rendue le 4 février 2020, procédure n°2019-04, paragraphe 22. ↩︎
  4.   Cf au paragraphe I de l’article L. 561-32 du Code monétaire et financier. ↩︎
  5. Déclaration de soupçon. ↩︎

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