L’euro numérique : info ou intox ?
Depuis quelques années, le projet d’un euro numérique agite les sphères économico-financières et entre dans sa phase préparatoire, avec une mise en circulation envisagée dès 2027. Pilotée par la Banque centrale européenne (BCE), il s’agit d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) c’est-à-dire une version électronique de l’euro, adossée à sa valeur classique et émise directement par la BCE.
Selon ses promoteurs, cette monnaie pourrait moderniser les paiements, et renforcer la souveraineté monétaire de l’Europe. Mais cela a pour mérite d’offrir une alternative crédible aux crypto-monnaies privées (Bitcoin, Ethereum, stable coins, etc.) qui constituent une redoutable menace de leur souveraineté monétaire et d’où l’impérieuse obligation d’entreprendre des mesures visant la création d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC).
Mais derrière cette promesse technologique, des enjeux considérables se dessinent pour les acteurs du financement, notamment les IOBSP. L’euro numérique est-il une avancée concrète ou une illusion de progrès ? Une info ou une intox ? Et surtout, quel sera l’impact réel sur les acteurs de terrain, comme les Intermédiaires des Opérations de Banque et en Services de paiement (IOBSP) ?
1 VOISIN J. (2024), Conséquences de l’introduction de l’euro numérique sur l’écosystème des paiements en zone euro, mémoire Master 2 Professionnel Trésorerie d’entreprise, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, p. 11.
Sur le plan technique, il pourrait reposer sur des technologies de type blockchain (ou DLT, pour Distributed Ledger Technology). La blockchain est une base de données partagée, infalsifiable et transparente, dans laquelle chaque transaction est enregistrée de manière chronologique et permanente. Elle permet de garantir la traçabilité, la sécurité des paiements, et de lutter contre la fraude, sans recourir à un acteur central pour valider les opérations. C’est cette technologie qu’utilisent de nombreuses crypto-monnaies, mais ici, appliquée à une monnaie officielle, publique et régulée.
Qu’est-ce que l’euro numérique ? Et pourquoi est-ce important ?
S’il est évident que c’est l’argent qui fait tourner les finances de tout ménage, cette vérité ne nous condamne pas à rester inactif sans procéder à la présentation d’une catégorie de monnaie à côté des autres qui existent comme les
crypto-monnaies classiques, l’euro numérique se définit comme une devise au format électronique, à la différence des monnaies physiques comme les pièces et billets et cette monnaie a une parité avec la devise légale gérée par la banque centrale de la zone monétaire, et constitue donc de la monnaie centrale incluse dans la base monétaire, car elle a une valeur légale du fait qu’elle remplit les conditions qu’une monnaie doit avoir.
Cette monnaie a le mérite de compléter l’argent liquide, et non le remplacer. Mieux, elle soutiendra l’évolution des usages numériques en ce qui concerne les paiements instantanés, les portefeuilles électroniques, les transactions transfrontalières plus rapides et moins coûteuses.
2Lockett Kath, (2021), journaliste à l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qui définit la monnaie numérique comme « un type de monnaie – ou devise – disponible sous forme électronique, contrairement aux objets physiques tels que les pièces ou les billets ».
3Pfister, 2019.
Comment l’euro numérique sera-t-il distribué ?
La BCE a été claire : elle ne souhaite pas distribuer directement cette monnaie aux citoyens. Elle s’appuiera sur les acteurs existants :
- Banques traditionnelles,
- Établissements de paiement,
- Prestataires de services de paiement, donc potentiellement des IOBSP s’ils évoluent vers ce statut.
Les usagers disposeront probablement de portefeuilles numériques hébergés chez ces intermédiaires agréés. Ils pourront :
- Recevoir leur salaire en euro numérique,
- Effectuer des achats,
- Transférer de l’argent instantanément.
Pour quelle utilité le recours à cette monnaie pour les IOBSP ?
Bien évidemment ce projet se justifie par le fait que la numérisation de l’argent entraîne plusieurs évolutions majeures.
Mais concrètement pour les IOBSP dont on distingue entre les Intermédiaires en Opérations
de Banques (IOB) et les Services de Paiement (SP), il est difficile d’appréhender directement l’avantage sans procéder à une analyse profonde. Dans la pratique, les services de paiement, dont l’agrément est très difficile à obtenir, feront appel à des mandataires pour distribuer leurs produits.
À première vue, les intermédiaires de crédit ne seront pas distributeurs de l’euro numérique. Ce n’est pas leur mission. Pourtant, l’euro numérique aura des conséquences directes sur leur activité.
On note :
- Un nouveau type de flux à analyser dans les dossiers de crédit car les relevés de compte en euros numériques feront partie des documents à examiner lors d’une demande de financement. Il faudra comprendre l’origine des fonds, identifier les usages (train de vie, régularité des revenus), détecter d’éventuelles anomalies ou comportements à risque.
- Une diversification des attentes des clients dont certains souhaiteront peut-être être financés en euro numérique. D’autres pourraient proposer de payer les honoraires du courtier en crypto ou euro numérique. Les intermédiaires de crédit devront donc anticiper ces demandes et adapter leurs contrats.
- Une opportunité pour ceux qui évolueront vers les services de paiement vu qu’un IOBSP peut devenir mandataire d’un établissement de paiement ou créer sa propre structure agréée. Dans ce cas, il pourrait distribuer des portefeuilles numériques, proposer des solutions de paiement, ou même se positionner comme acteur de l’euro numérique. C’est un levier de diversification stratégique.
L’euro numérique est-il vraiment une innovation informationnelle bien réelle ou une intox pour les IOBSP ?
Le projet d’euro numérique n’est pas une fiction. Contrairement aux crypto-monnaies comme le Bitcoin, l’euro numérique sera émis par la Banque centrale et adossé à l’euro classique, conservant ainsi sa stabilité et sa reconnaissance officielle.
Il ne s’agit pas de supprimer le cash, mais bien de le
compléter, en intégrant une alternative numérique publique dans un monde de plus en plus tourné vers les paiements dématérialisés. L’objectif principal est de proposer un moyen de paiement sécurisé, accessible à tous, et surtout garanti par une autorité publique, dans un contexte de prolifération des crypto-monnaies privées (stable coins, crypto actifs) contrôlées par des entités privées parfois peu transparentes.
On ajoute que l’euro numérique est l’arme absolue contre la falsification de notre monnaie.
Ce projet est aujourd’hui au cœur d’une problématique mondiale actuelle, qui, une fois largement implémentée, aura des impacts notables sur la souveraineté monétaire des banques centrales des États, la sécurité des transactions, mais aussi l’amélioration de l’inclusion financière, en particulier dans les zones peu bancarisées.
En outre, l’enjeu pour les IOBSP est clair : s’adapter ou s’effacer. Le risque serait que l’euro numérique, en permettant à chacun d’avoir un portefeuille auprès de la BCE via un intermédiaire bancaire, réduise l’utilité perçue des IOB si ceux-ci ne montent pas en compétence.
Mais à l’inverse, cette nouvelle donne peut renforcer leur rôle d’accompagnateur, conseiller, filtre et facilitateur, à condition de comprendre les enjeux technologiques et réglementaires, de se former aux évolutions des moyens de paiement, s’étendre sur l’élargissement de leur périmètre via des partenariats ou des habilitations.
Pour finir, l’euro numérique n’est pas une intox : c’est un projet sérieux, structuré, et en cours de tests pilotes dans plusieurs pays. Mais du point de vue des IOBSP, le risque de marginalisation ou d’évolution de leur modèle économique est bien réel. D’où ce sentiment d’un « mirage » ou d’un « écran de fumée », tant que les règles du jeu ne sont pas clairement posées. Mais nous attirons votre attention, si les IOB ne sont pas des opérateurs directs de l’euro numérique, les SP le seront à coup sûr à l’issue du projet. Mais faisons attention à ne pas surévaluer le rôle des SP au risque de négliger le rôle des IOB dans ce chantier.
Bachir BORAUD
Stagiaire juriste IEPB