Le vrai du faux sur la «liste noire »
Depuis quelques mois, la Principauté de Monaco est au cœur d’une polémique internationale : est-elle réellement sur la liste noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) ?
À coups d’annonces alarmantes et de spéculations médiatiques, le sujet a enflammé les débats. Pourtant, derrière l’émotion suscitée par le terme de « blacklistage », se cache une réalité bien différente. Cet article propose un décryptage précis de la situation, pour comprendre ce qui relève du fantasme et ce qui correspond aux faits établis.
Comprendre les termes : Liste noire, liste grise, quelles différences ?
Pour saisir l’enjeu, il est crucial de définir les catégories utilisées par le GAFI, organisme international de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme :Liste noire (High-Risk Jurisdictions Subject to a Call for Action) : il s’agit de territoires considérés comme présentant de graves déficiences stratégiques dans leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ces pays sont soumis à un appel mondial pour l’adoption de mesures renforcées, telles que des sanctions économiques ou des restrictions de coopération financière. Actuellement, seuls des États comme la Corée du Nord, l’Iran ou le Myanmar figurent sur cette liste.
- Liste grise (Jurisdictions under Increased Monitoring) : cette liste regroupe les États qui, bien que présentant des défaillances techniques, ont pris l’engagement de les corriger en collaboration étroite avec le GAFI. Ces juridictions bénéficient d’un suivi renforcé, mais sans mesures punitives immédiates.
Monaco n’est pas encore inscrit sur la liste noire, mais bien sur la liste grise, ce qui, en pratique, signifie une situation d’accompagnement et non de sanction.
Pourquoi Monaco figure-t-il sur la liste grise ?
L’inscription de Monaco sur la liste grise du GAFI, en juin 2024, fait suite à un processus d’évaluation minutieux. Plusieurs points de faiblesse avaient été relevés lors de l’évaluation mutuelle :
- Déficiences dans le dispositif anti-blanchiment : bien que Monaco ait mis en place des structures de lutte contre le blanchiment, l’efficacité opérationnelle de son Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers de Monaco (le SICCFIN), devenu depuis 2023 Autorité Monégasque de Sécurité Financière-AMSF et de ses organes de régulation restait perfectible.
- Lutte contre le financement du terrorisme : les mécanismes de détection et de prévention étaient jugés insuffisants, en particulier pour certaines typologies de menaces transfrontalières.
- Transparence sur les bénéficiaires effectifs : malgré des progrès législatifs, l’identification des véritables propriétaires finaux des entreprises monégasques demeurait lacunaire.
- Supervision des professions non financières : certaines professions, comme les avocats ou les agents immobiliers, échappaient à des contrôles suffisamment robustes.
Ces lacunes techniques ont conduit le GAFI à placer Monaco sous surveillance renforcée, sans pour autant le considérer comme un pays à haut risque.
Les mesures engagées par Monaco pour sortir de la liste
Face à ces critiques, la réaction de Monaco a été rapide et structurée. Dès avril 2025, le gouvernement princier a annoncé un plan d’action ambitieux :
- Renforcement des moyens humains et techniques : création d’une nouvelle cellule de renseignement financier plus performante, augmentation des effectifs de l’AMSF, modernisation des outils d’analyse et d’investigation financière.
- Stratégie nationale 2025-2027 : un document-cadre adopté pour structurer la politique anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme, avec des objectifs chiffrés et des échéances précises.
Supervision accrue des professions réglementées : extension du contrôle aux professions non financières, en s’alignant sur les standards internationaux.
- Transparence renforcée : amélioration des mécanismes de déclaration et d’accès aux registres des bénéficiaires effectifs.
Un comité de suivi présidé par le conseiller-ministre aux Finances et à l’Économie, Pierre-André Chiappori, a été mis en place pour évaluer régulièrement les progrès réalisés. Déjà en mai 2025, un premier bilan intermédiaire a été jugé satisfaisant par les observateurs internationaux.
Monaco vise une sortie de la liste grise dès janvier 2026, objectif qui reste ambitieux, mais atteignable au vu des réformes entreprises.
Le vrai du faux : démêler les rumeurs médiatiques
Monaco est-il sur la liste noire du GAFI ?
Non. La Principauté figure uniquement sur la liste grise. Il n’y a pas de sanctions internationales contre Monaco, et aucune contre-mesure économique ou financière n’a été exigée.
Y a-t-il un risque d’inscription sur la liste noire de l’Union européenne ?
Non, à ce stade. Si l’UE suit généralement les recommandations du GAFI, elle dispose de sa propre évaluation. Actuellement, elle envisage uniquement de placer Monaco sur sa propre liste de surveillance accrue, ce qui n’aurait pas d’impact immédiat sur les échanges commerciaux ou financiers.
De l’autre côté, la Principauté a réellement réagi à travers plus de 39 recommandations positives qui sont respectées sur 40 recommandations du GAFI à peine 6 mois après le placement sur la liste grise en 2024.
Quel est l’impact réel pour Monaco ?
Mesuré, mais sérieux. La surveillance renforcée impose aux institutions financières monégasques des exigences de vigilance accrues, et peut impacter la réputation du pays sur les marchés internationaux. Mais à long terme, la transparence et la solidité du système financier monégasque pourraient en sortir renforcées.
L’affaire Monaco illustre à quel point les perceptions peuvent déformer la réalité. Non, Monaco n’est pas sur une « liste noire », mais fait l’objet d’un suivi technique renforcé dans une dynamique de collaboration avec le GAFI. La Principauté a répondu avec sérieux en lançant une série de réformes ambitieuses. Si elle maintient son rythme de progrès, elle pourrait sortir de la liste grise dès 2026. En attendant, il importe de séparer l’émotion de l’analyse et de ne pas céder aux raccourcis médiatiques. Car dans cette affaire, le véritable enjeu est bien celui de la transparence et de la solidité financière, deux piliers que Monaco semble résolu à consolider.
Bachir BORAUD
Juriste à l’iepb