Commentaire d’une décision récente de Cour d’appel : Colmar, du 17 juillet 2024, n° 23/00835.
Quelle est la nature juridique du mandat passé entre une banque et un IOBSP ?
Rares sont les décisions de Justice qui débattent de la nature juridique du contrat de mandat de l’intermédiaire bancaire, mandaté par un établissement de crédit agréé (une banque), et qui s’interrogent quant aux responsabilités civiles respectives du prêteur et du mandataire de ce prêteur.
Dans cette affaire, l’emprunteur, en difficulté, assigne classiquement le prêteur et l’intermédiaire bancaire en responsabilité. L’emprunteur a notamment souscrit deux prêts in fine, en 2003 et en 2007, prorogés respectivement jusqu’en 2024 et jusqu’en 2027. Il recherche principalement la responsabilité du prêteur : (i) en tant que mandant de l’intermédiaire ; et (ii) pour défaut dans son obligation de mise en garde. Il réclame également (iii) de juger l’intermédiaire bancaire responsable des dommages qu’il expose. L’intermédiaire en opérations de banque et le prêteur sont liés par un contrat de mandat : l’intermédiaire est mandataire de la banque.
Avant la réforme entrée en vigueur le 15 janvier 2013, l’ancien article L. 519-1 du Code monétaire et financier, qui définit l’intermédiation en opérations de banque posait sobrement « […] est intermédiaire en précise pas davantage quelle serait la nature juridique du mandat d’intermédiation bancaire.
La Cour d’appel prétend donc analyser le mandat entre l’intermédiaire et la banque pour en conclure qu’il ne s’agit pas du mandat au sens du Code civil. Elle se fonde sur le fait que les propositions de prêts présentées par l’intermédiaire portent l’en-tête de l’intermédiaire et ne permettent pas de détecter que la banque était à leur origine. Sans commentaire (…). Même si en 2003 ou en 2007 (à la date des prêts), les obligations « de présentation » de l’intermédiaire bancaire n’étaient pas celles en vigueur depuis 2013, nul n’ignore qu’un intermédiaire en opérations de banque n’est pas un prêteur. De plus, hors les « propositions de prêt », l’emprunteur a certainement signé des contrats de prêts : ceux-ci ne peuvent porter que la marque de la banque. La banque n’étant donc pas visible dans les propositions formulées par l’intermédiaire bancaire, en conséquence la Cour d’appel de Colmar estime que la banque n’a pas de responsabilité dans les actes de l’intermédiaire. L’emprunteur est débouté de sa demande de mise en cause de la responsabilité de la banque au titre des actes de l’intermédiaire, mandataire de la banque.
Puis, la Cour d’appel écarte la responsabilité de l’intermédiaire en crédit, « le lien de causalité entre les fautes reprochées à [l’intermédiaire] et le préjudice [que l’emprunteur] estime subir » n’étant pas démontrés. L’emprunteur est donc débouté de sa demande de mise en cause de la responsabilité de l’intermédiaire.La Cour d’appel infirme la condamnation prononcée en première instance contre la banque au titre de son obligation de mise en garde. Les deux prêts in fine en cours n’étant pas arrivés à échéance, c’est seulement à la date de leurs termes qu’un éventuel dommage peut être réparé (dans ce sens : Cour de cassation, Com. du 24 mars 2021, n°1-20697). Au passage, la Cour d’appel écarte tout devoir de conseil de la banque. Elle
opérations de banque toute personne qui, à titre de profession habituelle, met en rapport les parties intéressées à la conclusion d’une opération de banque […] » Cette définition juridique, obsolète, était radicalement différente de celle en vigueur, applicable depuis 2013. Son changement n’a pas d’effet notable sur l’analyse des responsabilités de l’intermédiaire et de la banque.
La Cour d’appel examine le contrat de mandat de l’intermédiaire. C’est fort connu : l’intermédiaire agit en vertu d’un mandat. Ce principe est posé depuis 2001. Dans l’affaire examinée, la Cour d’appel de Colmar estime que ce mandat n’est pas celui du Code civil : « Ainsi, le ‘mandat’ visé par l’article L. 519-2 du code monétaire et financier est exclusif de toute autre qualification ; il ne s’agit pas du mandat prévu par le code civil et la qualification de mandat d’intérêt commun est à écarter (Com. 8 juill. 2008, n° 07-12.759) » énonce-t-elle.
En effet, cet important arrêt de 2008 a écarté la qualification juridique de mandat d’intérêt commun, entre un intermédiaire et une banque. En revanche : aucun texte ni aucune Jurisprudence ne soutiennent que le mandat de l’intermédiaire bancaire serait étranger ni différent du mandat du Code civil. Le Droit ne connaît d’ailleurs pas d’autre mandat que celui du Code civil. La Cour d’appel de Colmar ne rappelle ainsi le principe affirmé du Droit bancaire : le prêteur n’a pas d’obligation de conseil en crédit (son mandataire : non plus).
rappelle ainsi le principe affirmé du Droit bancaire : le prêteur n’a pas d’obligation de conseil en crédit (son mandataire : non plus).
Les demandes de l’emprunteur sont ainsi, largement, rejetées par cette Cour d’appel, qu’elles visent soit le prêteur, soit l’intermédiaire en crédit. Ceci, au prix d’un détour juridique aussi étonnant qu’inutile à propos de la nature juridique du contrat de mandat d’intermédiation, puisque le Droit pose que la responsabilité du mandant ne peut être engagée du seul fait de la faute lourde (dol) du mandataire (Cour de cassation, Ch. mixte, du 29 octobre 2021, n° 19-18470), sauf à démontrer également la faute du mandant. Principe protecteur, pour le prêteur.
Points d’attention, en pratique pour l’IOBSP :
- Les principes de responsabilité entre le Mandataire-IOBSP (exclusif ou non exclusif) et les établissements de crédit agréés, mandants, font généralement l’objet de clauses spécifiques dans les contrats de mandat concernés ;
- À défaut, ce sont les règles juridiques générales qui s’appliquent : selon cette Cour d’appel, la banque (mandante) n’est pas responsable d’éventuelles fautes de l’intermédiaire (mandataire) ;
- Depuis 2015, tout intermédiaire est tenu de communiquer des informations « de présentation », parmi lesquelles il indique sa catégorie de mandataire d’établissement de crédit agréé, ainsi que ses mandants éventuels ;
- Il est prudent de rattacher explicitement tout contrat de mandat d’intermédiation en opérations de banque aux dispositions relatives au contrat de mandat du Code civil, pour lever tout doute quant à la nature juridique de ce mandat et aux conséquences que celle-ci entraîne.
Maître Katarzyna Hocquerelle (www.avocatlegal.com) et
Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr).
Katarzyna Hocquerelle, Avocat, vous accompagne dans les problématiques juridiques de votre activité économique.
Laurent Denis, Avocat, pratique, diffuse, enseigne et critique le droit de la distribution bancaire et d’assurance.
En bref Cour d’appel de Colmar, du 17 juillet 2024, n° 23/00835 Article 1984 du Code civil : définition du mandat Article 1992 du Code civil : le mandataire répond de ses fautes Article 1242 du Code civil : le commettant est responsable du fait de ses préposés (le mandataire fait partie des préposés) Cour de cassation, Ch. Mixte du 29 octobre 2021, n°19-18470 : la faute lourde du mandataire n’engage pas le mandant, sauf si celui-ci est également fautif. Règle de responsabilité applicable au mandant Article R. 519-20 du Code monétaire et financier : l’IOBSP informe notamment de sa catégorie d’IOBSP, ainsi que des noms « du ou des établissements avec lesquels il a enregistré au cours de l’année précédente une part supérieure au tiers de son chiffre d’affaires au titre de l’activité d’intermédiation » (voir également : art. L. 314-22 du Code de la consommation). Il est judicieux d’indiquer les noms des établissements Mandants Article R. 519-15-2 du Code monétaire et financier : les établissements de crédit agréés contrôlent les activités et le respect des conditions de compétence professionnelle de leurs Mandataires Exclusifs-IOBSP Pour rappel : le contrat de mandat fait l’objet d’une réforme juridique, en cours, dont l’avancement est inconnu (https://www.justice.gouv.fr/actualites/espace-presse/projet-reforme-du-droit-contrats-speciaux) La proposition est incompatible avec les dispositions régissant l’intermédiation. Un projet de Loi dit « de simplification » (avril 2024, en cours de vote : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-550.html) pourrait autoriser le Gouvernement à réaliser cette réforme des contrats spéciaux par ordonnance, sans vote de Loi ; et sans débat J’espère que cela correspond mieux à ce que tu attendais ! |