De la banque à l’indépendance : un parcours singulier au cœur du crédit.
Quand Jérôme Hanot évoque les vacances de printemps à Grenoble, il sourit : « La ville se vide… on sent comme un ralentissement. » Ce calme apparent contraste avec son rythme à lui, toujours soutenu, entre les rendez-vous clients, la gestion de son cabinet, et son regard sur le marché.
Ce n’est pas un hasard si Jérôme Hanot connaît si bien les rouages de l’intermédiation en crédit. Il n’est pas arrivé là par effet de mode, ni sur un coup de tête. Son parcours est construit, dense, presque atypique dans un secteur où beaucoup arrivent par reconversion ou opportunité. Lui a traversé l’ensemble de la chaîne bancaire avant de devenir IOBSP.
« J’ai commencé au Crédit Mutuel », explique-t-il simplement. Une première immersion dans l’univers bancaire, avec ses produits, ses clients, sa culture maison. Puis une évolution rapide, car Jérôme Hanot n’est pas de ceux qui stagnent. Il devient directeur de l’agence Meilleurtaux à Grenoble, à une époque où la plateforme est en pleine expansion. Il découvre alors l’autre versant du crédit : celui de l’indépendance, du conseil objectif, de la mise en concurrence des offres bancaires.
Mais ce n’est pas tout. Ce que peu de courtiers peuvent afficher sur leur CV, c’est ce que Jérôme a vécu ensuite : la direction d’une banque. Il a dirigé une agence bancaire à Grenoble, cette fois depuis « l’autre côté du miroir ». Il a géré des équipes, piloté les objectifs commerciaux, assuré la conformité et les relations institutionnelles. Et ce poste l’a naturellement amené à siéger à la Fédération des banques.
« J’ai vu le système de l’intérieur », dit-il sans arrogance, mais avec une grande clarté. Il sait comment les décisions sont prises, comment les conventions sont négociées, ce que les banques attendent (et redoutent) des courtiers. Il comprend leurs logiques, parfois même avant qu’elles ne soient exprimées. Cette compréhension fine du système bancaire est ce qui le distingue aujourd’hui dans le paysage de l’intermédiation.
Quand il décide de revenir du côté des indépendants, ce n’est pas une fuite. C’est un choix. Celui de la liberté, de l’impact direct, du lien avec le client. Il crée sa structure, s’inscrit comme IOBSP, monte en compétence sur les aspects réglementaires et commence à se faire un nom localement. Pas seulement grâce à son carnet d’adresses, il ne le nie pas : ses contacts dans le réseau bancaire l’ont aidé pour obtenir des conventions, mais c’est surtout par son sérieux, son expérience, sa vision transversale du métier, qu’il les a encore.
Son exigence professionnelle est palpable dans chaque phrase, chaque anecdote. Il ne surjoue rien. Il raconte simplement ce qu’il a fait, ce qu’il fait encore, et pourquoi. Et c’est peut-être ça, le plus frappant : une forme d’alignement entre le parcours, le discours et la posture. Jérôme Hanot n’est pas devenu courtier par hasard. Il l’est devenu parce que tout dans son expérience l’y préparait, parce que le métier, dans sa complexité actuelle, a besoin de gens comme lui : à la fois stratèges et praticiens, ancrés dans le réel, mais lucides sur les règles du jeu.
La conjoncture actuelle : entre prudence bancaire et opportunités discrètes.
Dans le rythme feutré de cette matinée d’interview, Jérôme Hanot prend le temps de poser les choses. Lorsqu’il parle de la situation actuelle du crédit immobilier, ce n’est ni avec fatalisme, ni avec exagération. Plutôt avec le recul d’un homme qui connaît les cycles, les tensions, les inflexions réglementaires, et surtout les coulisses.
Il constate une forme de déséquilibre. Non pas un effondrement du marché, mais une distorsion entre l’envie des emprunteurs et la posture des banques. Les projets sont là, mais l’accès au financement reste incertain. « Il y a une vraie effervescence chez les indépendants, chez les porteurs de projets. Mais les conditions de financement ne suivent pas toujours. »
Ce diagnostic lucide s’appuie sur sa connaissance approfondie des logiques bancaires. Il sait ce qui se passe derrière les guichets. Et s’il devine parfois les décisions en amont, c’est parce qu’il en a été l’un des artisans. Ce regard croisé — celui du courtier d’aujourd’hui et du banquier d’hier — donne à son analyse une profondeur rare.
Le contexte actuel ? « Assez flou », résume-t-il. Les banques resserrent les conditions d’octroi, les taux restent tendus, le HCSF maintient une ligne stricte, et les marges de négociation sont minces. Pourtant, il ne cède ni à l’alarmisme ni à la plainte. Il observe, ajuste, conseille.
Dans cette atmosphère, le rôle du courtier devient à ses yeux plus central que jamais : expliquer, rassurer, alerter parfois. Il voit encore trop de dossiers mal préparés, trop d’intermédiaires qui n’anticipent pas les exigences des établissements bancaires. Lui-même, grâce à son passé dans les banques, sait précisément ce que les directeurs d’agence veulent voir dans un dossier bien monté. Et il adapte ses pratiques en conséquence. D’ailleurs, Jérôme co-animera la prochaine Masterclasse de l’IEPB sur les nouvelles exigences et attentes des banques en 2025.
Mais la conjoncture, ce n’est pas seulement l’état du crédit. C’est aussi le climat dans lequel évolue la profession : méfiance croissante de certains établissements vis-à-vis des IOBSP, lenteur dans la signature des conventions, durcissement réglementaire. Jérôme Hanot y voit à la fois une contrainte et une opportunité : « C’est une période où seuls les plus solides, les plus professionnels, tireront leur épingle du jeu. »
Il ne le dit pas sur un ton dramatique, mais avec réalisme. Ceux qui tiennent, ce sont ceux qui travaillent proprement, qui maîtrisent leur environnement, qui comprennent autant le langage des clients que celui des banquiers. Et dans cette équation complexe, il sait que son profil hybride fait la différence.
Le cadre réglementaire : entre surcouche administrative et perte de sens
Il en a vu passer, des réformes. Des circulaires, des décrets, des directives européennes transposées parfois à la lettre, parfois avec une ferveur typiquement française. Mais Jérôme Hanot, lui, ne se laisse pas impressionner par les sigles et les institutions. HCSF, ACPR, taux d’usure, associations professionnelles… Il les connaît tous, non pas par lecture, mais par expérience.
Ce qu’il observe aujourd’hui, c’est un empilement. Une complexification constante du cadre réglementaire, qui alourdit le quotidien du courtier sans toujours en renforcer l’efficacité. Il évoque avec pragmatisme les obligations de formation, les exigences documentaires, les ratios, la conformité, et surtout le regard parfois soupçonneux que certaines banques ou autorités peuvent porter sur les IOBSP, même les plus sérieux.
« On est dans un système où il faut justifier, prouver, anticiper… mais parfois on en oublie le sens premier du métier : aider les clients à concrétiser leurs projets. »
Il ne remet pas en cause la nécessité des règles. Au contraire, il les respecte, et les applique.
Le HCSF, par exemple, est cité comme un acteur essentiel mais parfois trop dogmatique. L’ACPR, comme un organisme nécessaire mais parfois trop distant des réalités concrètes des indépendants. Les associations professionnelles agréées ? Une bonne idée sur le papier, mais encore trop centrées sur la conformité, pas assez sur le soutien opérationnel.
Il enchaîne sur la question du taux d’usure, qu’il juge parfois trop rigide dans un marché où les coûts de l’argent et les profils emprunteurs varient énormément. Il cite aussi les difficultés que rencontrent certains confrères pour obtenir des conventions bancaires, y compris ceux qui ont pignon sur rue. Pour lui, cette méfiance ambiante n’est pas saine : elle fragilise la chaîne du crédit, retarde les projets, et pénalise les clients.
Il revient enfin sur la formation, un sujet qu’il connaît bien. Il salue les efforts faits pour structurer l’offre, mais souligne l’importance de former “pour comprendre”, pas seulement “pour cocher une case”.
Conseils à un nouvel entrant : s’engager avec rigueur et lucidité.
La voix se pose, le ton se fait plus intime. Quand on aborde le thème des conseils à donner à un nouvel entrant dans la profession, Jérôme Hanot ne part pas dans une tirade idéalisée. Il évoque plutôt la réalité du terrain, la construction d’un positionnement professionnel solide, et surtout la lucidité nécessaire pour durer dans ce métier.
Son propre parcours est riche d’enseignements. Il est entré dans le monde bancaire jeune, alors qu’il terminait ses études d’économie à Grenoble. Un job d’été au Crédit Mutuel a suffi à révéler ses capacités : le directeur de l’agence, convaincu, lui propose un CDI… à condition qu’il termine sa maîtrise en parallèle. Ce qu’il fait. Cette double casquette étudiant-salarié, dès ses débuts, a forgé chez lui une capacité d’adaptation et une discipline qui ne l’ont jamais quitté.
« Il faut apprendre vite, et toujours apprendre », dit-il en substance. Le secteur évolue sans cesse : fiscalité, réglementation, attentes des clients, comportements bancaires… Un IOBSP ne peut pas se contenter d’un savoir acquis. Il doit se mettre à jour, comprendre son environnement, anticiper les virages.
Mais au-delà des connaissances, ce qu’il valorise le plus, c’est la posture. Il insiste sur la nécessité d’être éthique, structuré, transparent. Ce métier touche à l’intime : les projets de vie, les rêves immobiliers, la santé financière des familles. Il ne s’agit pas simplement de remplir des cases ou de trouver un taux, mais d’accompagner, d’expliquer, de sécuriser. « Le client doit avoir confiance. Pas juste parce que vous êtes inscrit à l’Orias, mais parce que vous incarnez la compétence et la loyauté. »
Il évoque aussi la nécessité d’être bien entouré. Un bon débutant, selon lui, n’est pas celui qui pense tout savoir, mais celui qui sait poser les bonnes questions, chercher les bons conseils, rejoindre les bonnes structures. Il faut, dit-il, éviter l’isolement, surtout face à des banques de plus en plus sélectives. Les conventions ne s’obtiennent pas toujours sur un coup de fil. Il faut prouver, expliquer, rassurer. Et cela prend du temps.
Lui-même a pu s’appuyer sur un réseau solide, bâti au fil de ses années dans la banque. Lorsqu’il a lancé son activité indépendante en 2019, après la fermeture de l’agence grenobloise de la Banque Martin Morel (alors sous pavillon Rothschild), il aurait pu retourner dans un grand établissement bancaire : les propositions ne manquaient pas. Il choisit pourtant l’indépendance, en créant un cabinet de gestion de patrimoine spécialisé dans la gestion d’actifs, sans commercialisation de biens immobiliers.
Dans les mois qui suivent, il est sollicité par des clients dans l’immobilier. Il fait les connexions. Deux groupes se rapprochent, fusionnent, une dynamique se crée, parce qu’il a su faire le lien, inspirer la confiance. C’est aussi cela, être IOBSP : créer de la valeur en dehors même du produit.
Alors que dire à quelqu’un qui se lance aujourd’hui ? « Ne vous précipitez pas. Formez-vous. Écoutez. Travaillez vos dossiers avec rigueur. Soyez irréprochable. » Et surtout, ne jamais perdre de vue que derrière chaque demande de financement, il y a un projet de vie.
Le portrait s’achève sur cette leçon d’humilité et d’exigence. Pas de slogans, pas de raccourcis. Juste un rappel que le crédit, quand il est bien fait, est un métier d’engagement.
Propos recueillis
Le 28/04/2025
Par Jérôme CUSANNO