En route vers la notion de Value For Money

Un peu comme lorsqu’on est perdu, mais qu’on fonce tout droit, on dit souvent : “on ne sait pas où on va, mais on y va !” On retrouve cette sensation dans certaines dispositions qui nous tombent dessus. Au départ, l’idée est toujours louable et humaniste, mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le Loup a bien revêtu une peau de mouton et qu’il tente d’entrer dans la bergerie. Que de métaphores !  

La notion de “value for money” (VFM) gagne en importance sur le marché des placements et des assurances vie dans l’Union Européenne, et donc en France. Cette notion, qui se traduit par “en avoir pour son argent”, vise à s’assurer que les clients obtiennent une valeur proportionnelle aux frais qu’ils payent pour les services financiers. Le 28 juin 2024, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a publié des recommandations cruciales concernant la rémunération des acteurs de la distribution des produits d’assurances, jetant ainsi les bases d’un changement significatif dans le secteur. Cela soulève beaucoup de questions, comme : 

Pourquoi un tel concept dans le secteur des assurances et pas dans d’autres secteurs ? Jusqu’où va pénétrer cette idée ? 

Le concept de VFM vise à instaurer une plus grande transparence et équité dans la chaîne de distribution des produits financiers. Les consommateurs, de plus en plus informés et exigeants, réclament une meilleure justification des coûts qu’ils supportent, surtout dans un environnement où la concurrence est féroce et où les marges de profit peuvent être substantielles.

Les recommandations de l’ACPR, détaillées dans le document du 28 juin 2024, insistent sur la nécessité pour les intermédiaires financiers de justifier leurs honoraires et commissions en démontrant la valeur ajoutée réelle pour le client. Cette approche vise non seulement à protéger les consommateurs, mais aussi à renforcer la confiance dans le système financier. Dont acte !  Les intermédiaires doivent clairement expliquer la nature et le montant de leurs rémunérations. Il s’agit de s’assurer que le client comprend ce qu’il paye et pourquoi. Ensuite, les services fournis doivent être proportionnels aux frais facturés. Cela implique une évaluation rigoureuse de la performance et de la qualité des conseils et des produits offerts.

Enfin, les intermédiaires doivent régulièrement réévaluer leurs structures de rémunération pour garantir qu’elles restent justes et alignées sur la valeur ajoutée réelle. Jusqu’ici, j’aimerais voir combien d’yeux s’ouvrent grands !

Cette notion de value for money n’est-elle pas une manière d’intervenir dans les prix et porter atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté des prix ? 

Entrons dans le débat !  et pour tenter de répondre à cela, il est important de contextualiser cette intervention et de comprendre ses justifications et implications.

L’ACPR semble estimer que dans le secteur des services financiers et des assurances, les consommateurs manquent souvent d’informations complètes et compréhensibles pour évaluer la valeur des services qu’ils achètent. L’intervention vise à équilibrer cette asymétrie. En assurant que les consommateurs reçoivent une valeur proportionnelle à ce qu’ils payent, la notion de VFM renforce la confiance dans les marchés et les institutions financières. Cette confiance est essentielle pour la stabilité économique et la santé des marchés financiers.

Sur un plan économique et sociétal, on pourrait ajouter qu’en incitant les entreprises à justifier leurs prix par la valeur réelle fournie, ces mesures encouragent une amélioration de la qualité des services offerts, mais l’autorité de régulation n’est pas allée jusque-là. Plutôt que de fixer les prix directement, ce qui n’était possible que jusqu’en 1991 en Union Soviétique, la notion de VFM impose des principes de transparence et de justification aux entreprises qui restent libres de fixer leurs prix. Cependant, elles doivent être en mesure de démontrer la valeur fournie en retour.

On pourrait croire que le concept de VFM entraînerait un niveau de concurrence égal. En effet, en s’assurant que toutes les entreprises respectent des standards de transparence et de justification des prix, cela créerait un environnement de concurrence plus équitable. 

Il existe des secteurs économiques très régulés, comme le secteur de la santé. Dans de nombreux pays, les prix des services médicaux et des médicaments sont régulés pour assurer l’accessibilité et la justice sociale. Cette régulation n’est pas vue comme une atteinte à la liberté d’entreprendre mais comme une nécessité pour le bien public. De même que pour les services publics, les prix des services comme l’électricité et l’eau sont souvent régulés pour protéger les consommateurs tout en permettant aux entreprises de réaliser un profit équitable. 

On peut quand même s’interroger sur ces normes, bien qu’intéressantes et humanistes, qui semblent être sélectives, et comment expliquer ce phénomène ? 

Je ne dis pas que seuls les intermédiaires sont touchés par de tels concepts, mais vous êtes, vous-mêmes, des consommateurs et consommatrices, et vous pouvez aisément constater qu’il existe une certaine forme de ségrégation entre secteurs économiques. Quand on a commencé à parler de shrinkflation dans les médias,  cette “méthode” consistant à réduire la taille d’un produit, tout en maintenant, voire en augmentant son prix, on a commencé à demander à faire preuve de transparence. Mais pour le moment rien n’est fait et cela continue tous les jours. 

Pour le secteur financier et des assurances, le concept de VFM se justifierait au regard de la complexité des produits. Les produits financiers, d’assurance et d’investissement sont souvent complexes et difficiles à comprendre pour les consommateurs moyens. Cela crée une asymétrie d’information où les consommateurs ne peuvent pas facilement évaluer la valeur des services qu’ils achètent. Autrement dit, ils ne savent pas si c’est cher ou pas. 

Contrairement aux biens tangibles comme une voiture ou un séjour à l’hôtel, les services financiers impliquent souvent des frais cachés ou difficiles à comprendre, rendant la transparence cruciale. Dans des secteurs comme l’automobile, l’hôtellerie, la restauration ou les produits de luxe, les consommateurs peuvent souvent évaluer plus facilement la valeur des produits et services qu’ils achètent. Ils peuvent voir, toucher et expérimenter directement ce pour quoi ils payent. En outre, les achats dans ces secteurs sont souvent moins complexes et plus fréquents, ce qui permet aux consommateurs d’apprendre rapidement à évaluer leur valeur et de faire des choix éclairés. 

Ce qui plaide en la faveur de la sur-régulation des produits financiers intermédiés, y compris les crédits, repose sur leur impact potentiel sur la stabilité économique. Les crises financières passées ont montré que des pratiques déloyales ou opaques dans le secteur financier pouvaient avoir des effets dévastateurs non seulement pour les individus mais aussi pour l’économie dans son ensemble. Dans des secteurs comme l’automobile ou la restauration, bien qu’il y ait des régulations pour protéger les consommateurs, les risques systémiques sont moins élevés. 

La confiance des consommateurs est essentielle dans le secteur financier. Les gens doivent croire que leurs conseillers financiers, assureurs et autres intermédiaires, agissent dans leur meilleur intérêt. La notion de VFM vise donc à renforcer cette confiance en s’assurant que les consommateurs reçoivent une valeur proportionnelle aux frais qu’ils payent.

Y a-t-il des risques que ce concept s’étende un jour au courtage de crédit ? 

Evidemment, oui ! Quand on lit les raisons qui poussent de telles recommandations et qui m’ont poussé à écrire cet article, c’est bien que le concept est parfaitement transposable à l’intermédiation de crédit. Les IOBSP sont déjà soumis à des règles de transparence de leur rémunération et de gestion des conflits d’intérêts. En outre, les consommateurs de services de courtage de crédit peuvent manquer de connaissance et de compréhension des différentes options de crédit disponibles, ce qui peut les rendre vulnérables à des pratiques commerciales déloyales ou à des frais excessifs.

Le courtage de crédit, ce n’est plus à démontrer, joue un rôle crucial dans l’accès au financement pour les particuliers et les entreprises. Assurer une valeur équitable pour les frais payés peut encourager un accès plus large et plus juste au crédit. Réguler le secteur contribue donc à la stabilité économique en réduisant les risques de surendettement et en favorisant des pratiques de prêt responsables.

Pourtant bizarrement, à l’approche des vacances, ou d’événements d’envergure, les prix des billets d’avion et de train augmentent, tandis que les prix des logements s’envolent. On nous explique cela par le mécanisme de l’offre et de la demande. Ainsi est née la tarification dynamique comme réponse directe aux fluctuations de l’offre et de la demande. Pendant les périodes de forte demande, les prix augmentent pour équilibrer la demande. Cela permet de gérer les ressources de manière efficace. Convaincu(e) ? 

En revanche, les entreprises utilisent la tarification dynamique pour maximiser leurs revenus, évidemment. 

L’ACPR de l’hôtellerie” n’existe pas, ni celle des moyens de transports, mais il y a aussi une notion très importante que nous négligeons tous : le pouvoir des lobbies et autres groupes de pressions. Certains secteurs, comme l’automobile, l’hôtellerie, les transports aériens, et les produits de luxe, ont des lobbies puissants qui peuvent influencer la législation et les recommandations ou autres résolutions. Ces industries disposent souvent de ressources importantes foncières et humaines. Ainsi, les lobbies peuvent exercer une pression pour empêcher la mise en place de régulations qu’ils jugent contraignantes ou nuisibles à leur modèle économique. Cela pourrait expliquer pourquoi certaines industries échappent à des interventions strictes basées sur le concept de VFM. 

Notre secteur manque-t-il de main d’œuvre en matière de défense des intérêts de la profession ? 

Avec 8 associations professionnelles, un syndicat, des influenceurs et des rédacteurs, je vous laisse répondre à cette question. Pour l’heure, habituez vous à cette nouvelle façon de vous faire rémunérer pour le travail que vous fournissez. 

Jérôme CUSANNO 

Directeur de l’IEPB. 

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