Devoir de conseil en assurance de prêt dû par la banque, lorsqu’elle propose l’assurance emprunteur « de groupe. » 

Par : Maître Katarzyna Hocquerelle (www.avocatlegal.com) et Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr).

Katarzyna Hocquerelle, Avocat, vous accompagne dans les problématiques juridiques de votre activité économique.

Laurent Denis, Avocat, exerce, diffuse, enseigne et critique le droit de la distribution bancaire et d’assurance.

Devoir de conseil de la banque en assurance emprunteur : 

la banque qui fait souscrire une assurance de prêt « de groupe » agit comme un Intermédiaire d’assurance. Elle manque à son devoir de conseil en assurance de prêt lorsqu’elle ne peut rapporter la preuve que la notice d’information est remise à l’emprunteur. En défaut de conseil, elle doit indemniser l’emprunteur.

 Cour d’appel de Limoges du 24 avril 2025, n° 24/00273.

Un couple d’emprunteurs (dont un bûcheron) fait l’acquisition d’une maison (septembre 2003), financée par un prêt (offre de juillet 2003). La banque fait souscrire aux emprunteurs une assurance de prêt (juin 2023).

Le bûcheron est affecté par une vilaine lombalgie, qui lui impose un arrêt de travail (2019), d’abord temporaire, puis définitif. L’emprunteur sollicite la prise en charge du remboursement du crédit (janvier 2020). Cette prestation est refusée par l’assurance : le contrat exclut, au titre des garanties incapacités et invalidité, les affections du rachis dorso-lombaire, sauf si l’assuré a été hospitalisé pendant une période continue d’au moins sept jours.

L’emprunteur assigne (mai 2022) l’entreprise d’assurance et le prêteur (la banque). Le Tribunal judiciaire (Brive-la-Gaillarde) confirme la validité de la clause d’exclusion et juge généreusement que le prêteur, agissant comme Distributeur d’assurance, a parfaitement rempli son devoir de conseil. La Cour d’appel confirme le premier point (validité de la clause d’exclusion). 

S’agissant de ce premier point, la Cour d’appel constate que la clause d’exclusion répond aux exigences juridiques : elle est « formelle et limitée. » Elle ne vide pas la garantie de sa substance. Elle est lisible, car libellée en caractères apparents (gras). Les conditions juridiques de la validité de la clause d’exclusion de garantie sont donc réunies. Cette clause s’applique. 

La banque doit en outre accomplir toutes ses obligations à l’égard de l’emprunteur, dont la correcte délivrance de son devoir de conseil en assurance de prêt. Le prêteur agissant comme Intermédiaire d’assurance est tenu au devoir de conseil en assurance de prêt.

Au contraire du Tribunal judiciaire, la Cour d’appel réfute la bonne délivrance du devoir de conseil de la banque. Elle constate ainsi le défaut de conseil du prêteur agissant comme Intermédiaire d’assurance. Ce défaut de conseil en assurance de prêt constitue une faute à l’égard de l’emprunteur. Cette faute motive une réparation.

S’agissant du défaut de conseil de la banque en assurance de prêt, la seule mention (par la banque) de la remise de la notice et du contrat d’assurance aux emprunteurs ne démontre ni la remise effective de ces pièces, ni la bonne délivrance du devoir de conseil en assurance. La banque ne démontre pas la remise effective des deux pièces (contrairement aux dispositions de l’article L. 312-9 du Code de la consommation, appuyé par l’article L. 141-4 du Code des assurances), lesquelles sont absentes dans l’acte authentique.

La charge de la preuve de l’exécution de ces obligations précontractuelles incombe toujours au Professionnel.

Au cas présent, au banquier : « la banque […] a servi d’intermédiaire pour permettre à M. [X] de souscrire une assurance garantissant le crédit consenti, et il lui incombait de communiquer la notice d’assurance. » Pour la Cour d’appel, ce manquement probatoire entraîne nécessairement (« corrélativement ») « un manquement de la banque à son devoir de conseil et d’information » (expression globalisante maladroite et malheureuse, suscitant la confusion fréquente entre « conseil » et « information »). Curieusement : la Cour d’appel ne relève pas l’absence de preuve tout court de la délivrance du devoir de conseil en assurance, telle que cette obligation légale s’impose à tous les distributeurs d’assurance (art. L. 521-4 du Code des assurances), y compris la banque lorsqu’elle agit comme distributeur de l’assurance emprunteur « de groupe. »

Des obligations professionnelles non optionnelles

C’est pourquoi il est totalement faux juridiquement de clamer que l’IOB serait, seulement, tenu à « une obligation de moyens » (notion au demeurant inexistante dans le Code civil). Apte à favoriser la décontraction et le relâchement, ânonner cette affirmation en boucle ne lui procure aucune valeur, hors de souligner l’incompétence juridique de ceux qui s’y livre. 

Comme tous les professionnels, l’IOB (ou l’IAS) est débiteur d’obligations, qui, par nature et par définition, ne sont pas optionnelles. L’IOB est donc tenu à des résultats : délivrer les obligations mises à sa charge. Et les prouver. L’obligation de conseil en assurance (comme en crédit) en est un excellent exemple.

Le manquement au devoir de conseil en assurance de prêt entraîne l’indemnisation de l’emprunteur.

Le devoir de conseil en assurance, inventé par la Jurisprudence en la jolie année 1964, initialement pour les Courtiers (Cour de cassation, Civ. 1ère du 10 novembre 1964, n°62-13411), puis étendu à l’ensemble des distributeurs d’assurance, n’est pas d’interprétation libre. Il est fixé par la Loi : « Avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit, sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci et lui fournit des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse afin de lui permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause » (article L. 521-4, 1° du Code des assurances). L’écrit est donc indissociable du conseil en assurance. Toute absence ou même tout manque « d’information objective » déclenche le défaut de conseil en assurance.

De plus, le conseil est toujours justifié : 

« Le distributeur conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et précise les raisons qui motivent ce conseil » (même article L. 521-4, 1° du Code des assurances).

Le manquement au devoir de conseil en assurance de prêt est une faute. Cette dernière entraîne sa réparation auprès de l’emprunteur. Selon la Jurisprudence, cette réparation repose sur la notion de perte de chance (« de ne pas contracter d’assurance » adaptée, possibilité disparue à cause du défaut de conseil) ; elle ne réclame aucune preuve ni démonstration de la part de l’emprunteur.

Dans le litige examiné par la Cour d’appel de Limoges le 24 avril 2025, le coût total de cette assurance « DIT » ressortait à 10.098 euros pour l’emprunteur. La banque est condamnée à 12.000 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de chance (« de ne pas contracter cette catégorie d’assurance et de souscrire une assurance plus sécure eu égard à sa situation personnelle. ») Une réparation financière partielle, qui ne comble certainement pas la perte financière qui résulte de celle des revenus de travail consécutive à la lombalgie et au manque de conscience chez l’emprunteur des conséquences d’une exclusion, dans un métier rude, exposé aux accidents et aux pathologies.

À noter : l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a diffusé le 21 novembre 2024 une Recommandation (2024-R-03) relative à la mise en œuvre du devoir de conseil en assurance. Cette Recommandation nécessite l’actualisation des fiches de conseil en assurance des distributeurs d’assurance, y compris en assurance emprunteur.

Pour tout intermédiaire d’assurance, la proposition de contrats d’assurance emprunteur passe par la bonne délivrance du devoir de conseil en assurance. Cette obligation est nécessairement formalisée, pour en constituer la preuve tangible. Toute proposition de contrat d’assurance exige donc une fiche (interne) de conseil en assurance.

Points d’attention, en pratique pour l’IOBSP :

  • L’IOBSP qui agit comme distributeur d’assurance notamment de prêt, dispose nécessairement d’un statut juridique d’Intermédiaire d’assurance à titre principal (voir, pour l’IOB distribuant des contrats d’assurance emprunteur liés à des crédits à la consommation : Communiqué de l’ACPR du 15 mars 2023 ; raisonnement identique pour les IOB agissant en crédit immobilier ou en regroupement de crédits),
  • L’IOB qui agit comme IAS distributeur d’assurance emprunteur délivre nécessairement un devoir de conseil. Ce devoir de conseil est nécessairement formalisé par une fiche (interne) de conseil en assurance de prêt, car tout professionnel doit prouver la bonne délivrance de ses obligations et il n’existe aucune fiche de conseil ni standardisée, ni légale,
  • L’IOB qui agit seulement comme distributeur d’un prêt, lorsque le prêteur (la banque) « propose » son assurance de prêt à l’emprunteur et qui s’abstient de toute proposition d’assurance n’agit pas comme Intermédiaire d’assurance. En ce cas, la banque est tenue à la délivrance du devoir de conseil pour l’assurance de prêt « de groupe » qu’elle propose, seule,
  • La fiche interne de conseil en assurance, utilisée par l’IOB agissant comme IAS distributeur d’assurance de prêt, doit respecter les dispositions légales (Code des assurances) ainsi que leurs modalités d’application fixées par l’ACPR, à compter du 31 décembre 2025.

En bref :

  • Cour d’appel de Limoges du 24 avril 2025, n° 24/00273,
  • Article L. 521-4 du Code des assurances (devoir de conseil),
  • Devoir de conseil en assurance, exclusion d’assurance et perte d’exploitation : Dalloz actualité, du 2 avril 2025, commentaire de CA de Versailles du 29 janv. 2025, n° 22/04866 (article en lecture partielle, sur abonnement),
  • Ressources complètes en libre accès sur le devoir de conseil en assurance adapté à l’assurance de prêt, : site www.endroit-avocat.fr onglet « Actualités » au 29 mai 2024,
  • Recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024, sur le devoir de conseil en assurance, applicable le 31 décembre 2025.

Copyright© Laurent Denis & Katarzyna Hocquerelle, 2025. Pour le magazine « IOBETTE publié par l’IEPB. Cet article demeure la propriété intellectuelle exclusive des deux auteurs. Toute autre reproduction, diffusion ou usage qui serait non autorisé par les deux auteurs, quels que soient les supports ou les moyens utilisés, est strictement interdit et constitue un délit de contrefaçon. L’article peut être cité ainsi : « Laurent Denis & Katarzyna Hocquerelle, «Devoir de conseil en assurance de prêt : dû par la banque, lorsqu’elle propose l’assurance emprunteur de groupe. », IOBETTE de l’IEPB, année 2025. »

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