Démarchage téléphonique : entre régulation nécessaire et enjeux pour l’industrie

Un secteur controversé en quête de régulation

Le démarchage téléphonique, longtemps perçu comme un outil efficace pour atteindre de nouveaux clients, est aujourd’hui au cœur de controverses. Les critiques se multiplient, alimentées par des pratiques abusives et une méconnaissance des droits des consommateurs. Si le projet de loi récemment adopté par le Sénat promet un encadrement plus strict, il est essentiel d’examiner les réalités du terrain, notamment dans les centres d’appels opérant à l’international, et les enjeux économiques liés à ce secteur.

Le démarchage téléphonique est une technique commerciale qui consiste à contacter des consommateurs, souvent de manière non sollicitée, pour leur proposer des produits ou services. Ce procédé est particulièrement utilisé dans les secteurs de l’assurance et du crédit. Cependant, ses dérives ont suscité l’exaspération des consommateurs et ont conduit à un encadrement législatif de plus en plus strict. Selon un sondage de 2024, 97 % des Français déclarent être agacés par les appels commerciaux.

Si l’objectif initial du démarchage est d’informer et de conseiller, les abus sont nombreux, notamment en raison de pratiques douteuses dans certains centres d’appels. Le législateur tente aujourd’hui d’imposer des règles plus strictes, notamment via une proposition de loi récemment adoptée au Sénat. Toutefois, cette réforme pose la question des conséquences pour les acteurs du marché et l’ensemble de l’industrie du télémarketing.

Le cadre légal actuel : Droits et limites

Les récentes réglementations ont déjà tenté de freiner les pratiques abusives du démarchage téléphonique. Depuis 2021, le Code des assurances (articles L.112-2-2 et R.112-7) impose plusieurs règles strictes :

  • Consentement explicite (opt-in) : Les consommateurs doivent donner leur accord avant tout appel.
  • Interdiction des signatures pendant l’appel : Un délai de 24 heures minimum est imposé avant toute signature d’un contrat.
  • Obligation d’information : Les prospects doivent recevoir les documents précontractuels avant de souscrire un produit.
  • Enregistrement et conservation des appels : Chaque appel doit être archivé pendant deux ans pour permettre un contrôle de l’ACPR et des autorités compétentes.

Malgré ces mesures, les pratiques frauduleuses persistent, notamment via des centres d’appels basés à l’étranger. Rien qu’au Maroc, on recense environ 60 centres d’appels opérant dans l’assurance et une dizaine dans le crédit. Ces centres achètent des leads (contacts de prospects) sur les marchés légaux et parallèles, où les fuites de données sont fréquentes.

La proposition de loi adoptée par le Sénat : une avancée majeure

En 2024, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à encadrer plus strictement le démarchage téléphonique et à protéger les consommateurs des appels non sollicités. Ce projet, porté par le sénateur Pierre-Jean Verzelen, introduit des changements significatifs :

  • Consentement explicite (opt-in) : Les entreprises devront obtenir l’accord clair du consommateur avant de l’appeler. Les autorisations implicites dans les contrats, comme dans les abonnements téléphoniques, seront interdites.
  • Suppression des contournements légaux : Les clauses floues permettant à des entreprises de justifier des appels non désirés sous prétexte de liens contractuels seront proscrites.
  • Encadrement des exceptions : Les sénateurs ont insisté sur une vigilance accrue vis-à-vis des exceptions prévues par la loi, notamment dans certains secteurs ou cas de consentement contractuel préalable.

Selon Mélanie Vogel, sénatrice écologiste, ces mesures visent à éradiquer les abus ayant « tué le démarchage ». Elles répondent à une attente collective des consommateurs, tout en responsabilisant les entreprises. Toutefois, des associations comme UFC-Que Choisir appellent à une surveillance rigoureuse de l’application du texte.

Il y a quelques jours, l’Assemblée Nationale a adopté un texte instaurant l’interdiction par défaut de tout démarchage téléphonique d’un particulier, sauf s’il s’est inscrit sur une liste autorisant le démarchage.  Il ne s’agit pas encore d’une Loi, mais le but n’est pas loin. 

Or on peut aisément comprendre que cette inscription (opt-in) sera “arraché” à certains consommateurs et prospects potentiels par des techniques marketing ou l’obtention de points, et autres étoiles pour débloquer des niveaux de leurs jeux addictifs favoris, ou encore lors d’une inscription sur un site ou pire encore : l’acception des cookies sans les lire ; et qui le fait quand on consulte la liste des annonceurs ? 

Le Maroc, avec ses 60 centres d’appels spécialisés en assurance et une dizaine dans le crédit, est un acteur majeur du démarchage téléphonique à destination du marché français. L’application du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) est pratiquement inexistante dans certains pays offshores. De nombreuses pratiques illégales sont recensées :

  • Vol et revente de fichiers clients : Des salariés infiltrés dans des centres d’appels récupèrent illégalement des bases de données pour les revendre ou créer leurs propres structures.
  • Turn-over et vol de données : Le vol de fichiers par les salariés est monnaie courante. Ces derniers revendent les données ou créent leurs propres centres d’appels. Certains infiltrés sont même employés pour collecter un maximum d’informations. Ce phénomène fragilise non seulement les entreprises, mais aussi les consommateurs, dont les données personnelles sont largement exposées.
  • Faux consentements : Les leads sont générés de manière frauduleuse via des jeux en ligne ou des concours, où les utilisateurs acceptent, sans le savoir, d’être rappelés.
  • Fichiers de données personnelles en vente sur le marché noir : Un fichier de 10 000 entrées contenant nom, prénom, téléphone, numéro de Sécurité sociale et même RIB peut être acheté pour seulement 90 €.
  • L’illusion de la conformité : Certains centres d’appels prétendent respecter la réglementation en s’appuyant sur un cadre détenteur d’une certification en assurance (niveau 1), alors que les employés eux-mêmes ne sont pas formés et ne respectent pas la formation continue obligatoire de 15 heures par an.

Un autre phénomène inquiétant est l’externalisation totale de certaines entreprises françaises : certains intermédiaires créent leur société à distance sans jamais mettre un pied sur le territoire. Grâce aux procédures dématérialisées, ils peuvent :

  • Créer une entreprise à distance en téléversant des documents.
  • Domicilier leur siège social dans un centre d’affaires.
  • Ouvrir un compte bancaire en ligne.
  • S’inscrire à l’ORIAS et souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle.

Ce vide juridique permet à des acteurs peu scrupuleux d’exercer en toute impunité, sans aucun contrôle réel.

De nombreux employés ne disposent pas de la capacité professionnelle requise, ni de la formation annuelle obligatoire de 15 heures. Un mythe persistant laisse croire qu’un cadre possédant une capacité de niveau 1 suffit pour que tout le centre soit conforme, une interprétation erronée de la législation.

Les centres d’appels, qui emploient des milliers de personnes dans les pays francophones, risquent de subir de plein fouet ces nouvelles règles. Une interdiction totale des appels serait catastrophique, entraînant des suppressions de postes massives, non seulement dans les pays offshores mais aussi en France.

Plutôt que d’interdire purement et simplement le démarchage, une solution plus efficace serait de responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre :

  • Contrôle des prestataires de service : Imposer aux entreprises de s’assurer que leurs centres d’appels respectent le RGPD et les obligations légales.
  • Suivi des données collectées via les cookies : Aujourd’hui, les consommateurs acceptent souvent sans le savoir que leurs données soient utilisées à des fins de prospection commerciale. Un encadrement plus strict du tracking et de l’utilisation des cookies est indispensable.
  • Vérification des leads vendus sur le marché : Les entreprises doivent être tenues de justifier la provenance des leads qu’elles achètent, avec une traçabilité transparente.
  • Mise en place de sanctions sévères : Plutôt que d’interdire le démarchage, il serait plus efficace de sanctionner lourdement les abus (ventes forcées, leads frauduleux, non-respect du RGPD).

Malgré ces défis, la professionnalisation du secteur pourrait offrir des avantages concurrentiels. Les centres d’appels conformes aux nouvelles exigences pourraient devenir des partenaires de choix, rassurant les donneurs d’ordre et les consommateurs.

Le démarchage téléphonique n’est pas intrinsèquement mauvais. Il reste un outil essentiel pour les intermédiaires, à condition d’être exercé dans un cadre éthique et respectueux des lois. Le projet de loi du Sénat est une avancée majeure pour protéger les consommateurs, mais il doit s’accompagner d’un effort collectif pour responsabiliser les acteurs du secteur. En régulant les pratiques sans condamner une industrie entière, il est possible de concilier protection des droits et préservation des emplois.

Jérôme CUSANNO 

Directeur de l’IEPB

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