DÉCISION DE JUSTICE : Le refus d’examen d’une demande de crédit présentée par un courtier.

Enoncer que « la banque n’est pas tenue d’examiner les dossiers de candidats emprunteurs qui lui sont présentés par certains courtiers » est contestable juridiquement. Et inacceptable.

Depuis longtemps, la question du libre accès du courtier à toutes les banques est une question fondamentale et essentielle pour tous les courtiers en crédit. En réalité, elle est d’abord et surtout fondamentale pour les emprunteurs, les consommateurs.

Or, de manière très étonnante, dans un très récent jugement du 15 octobre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a validé la pratique d’une banque connue pour refuser systématiquement d’examiner certaines demandes de prêt, lorsque l’emprunteur est représenté par un courtier en crédit avec lequel cette banque ne souhaite pas de relations d’affaires.

La demande n’est pas soumise aux juges par un consommateur, mais par une association de courtiers en crédit. Ainsi, en réponse aux arguments juridiques soulignant qu’une telle pratique commerciale de la part d’une banque constitue un refus de vente au moyen d’une pratique commerciale déloyale et agressive, le Tribunal judiciaire de Paris a répondu que, conformément au principe de la liberté contractuelle, toute banque dispose du droit discrétionnaire de refuser d’octroyer un crédit sans avoir à justifier sa décision. Ce principe est acquis. Or, il ne s’agit pas de critiquer la manière dont la banque accorde ou refuse les crédits ; il s’agit de contester la sélection injustifiée qu’elle pratique, parmi les consommateurs, dans l’examen de leurs demandes de crédit.

Le Tribunal analyse que ce refus d’examen d’une demande de crédit ne saurait être discriminatoire, dans la mesure où la loi ne considère pas le recours à un mandataire (le courtier) pour solliciter une demande de crédit comme l’un des 26 critères de discrimination. Par conséquent, la banque « n’est pas tenue d’examiner les dossiers de candidats emprunteurs qui lui sont présentés par certains courtiers, pas plus par conséquent que d’examiner la solvabilité de ces dossiers. » 

Cette analyse juridique est hautement critiquable. 

Le Tribunal a également rejeté l’argument juridique selon lequel le refus de la banque constituait un refus de vente. Il estime que les dispositions relatives au refus de vente ne sont pas applicables aux opérations de banque, y compris les opérations de crédit. Or l’instruction d’une demande de crédit immobilier constitue une prestation de service au sens du code de la consommation comme du droit européen (art. R. 313-22 du Code de la consommation et Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, article 2, § 6 et § 12).

De plus, il juge que l’article L.314-22 du Code de la consommation, invoqué, ne s’applique pas aux conditions d’instruction des demandes de prêt, mais seulement à l’élaboration, l’octroi et l’exécution d’un contrat de crédit. En déniant au consommateur le droit de se faire représenter par courtier en crédit, la banque enfreint pourtant le code de la consommation, qui lui enjoint « En toute circonstance, tout établissement de crédit prêteur est tenu d’agir : « […] d’une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle, au mieux des droits et des intérêts des emprunteurs » (article L.314-22 alinéa 1er du Code de la consommation). Cette disposition légale (« en toute circonstance ») n’exclut nullement l’examen d’une demande de crédit. Le droit et l’intérêt de l’emprunteur réside notamment dans cette liberté, qui devrait être fondamentale, de choisir (ou non) un courtier en crédit. 

Concernant les pratiques commerciales agressives et déloyales, le tribunal a estimé que la banque n’entrave pas les droits contractuels des consommateurs, ceux-ci conservant la possibilité de solliciter un crédit soit directement auprès de la banque soit par l’intermédiaire de courtiers « agréés » par la banque. Autant dire explicitement que le consommateur n’est pas libre, en 2024 et en France, de choisir un courtier. Enfin, le Tribunal a rejeté l’allégation de pratiques anticoncurrentielles, faute de preuve d’un accord de volontés entre différentes banques restreignant le jeu de la concurrence dans le marché du crédit immobilier. En posant la question sur le plan de la concurrence et de l’entente entre banques, sans voir que la banque qui agit comme distributeur est un concurrent des courtiers en crédit, dont c’est la fonction essentielle, le Tribunal feint d’ignorer la distorsion de concurrence qui lui est, clairement, présentée.

En conclusion, le Tribunal soutient la banque, jugée dans sa pratique contraire à la liberté du consommateur. Il refuse de considérer cette pratique de la banque comme étant illégale, ce qui peut être très choquant. 

En effet, le droit discrétionnaire du prêteur, d’accorder ou de refuser un crédit, ne l’autorise pas à refuser toute demande émanant d’un courtier donné, pour mieux favoriser les demandes émanant des courtiers avec lesquels la banque, unilatéralement, a conclu des conventions de partenariat de manière discrétionnaire, révocables aisément, lesquelles ne sont en aucune manière une condition juridique du courtage en crédit en droit français.

Cette décision judiciaire fort contestable heurte également la position exprimée par le Gouvernement français. En effet, le 20 décembre 2023, le Ministre de l’Économie en fonction, a clairement mis en garde les établissements bancaires, en leur rappelant que : « Certes, l’établissement financier (la banque) est libre de signer ou non un contrat de prêt et il peut choisir son cocontractantToutefois, le Code de commerce proscrit de limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence, ce qui devrait empêcher les établissements bancaires d’évincer les courtiers du marché. » Ajoutant : ils « s’exposent à de lourdes sanctions de l’Autorité de la concurrence » (Questions au Gouvernement).

Il s’agit évidemment d’une décision de première instance, susceptible d’appel. Elle est non seulement choquante, mais aussi fort critiquable juridiquement. Surtout que la question n’est pas posée par un consommateur au choix floué par un établissement de crédit. Cette décision devrait susciter un fort mouvement de critique, tant elle touche au droit fondamental du consommateur. D’autant plus qu’elle concerne un établissement bancaire, à capitaux publics, directement exploités par l’État. Son exemplarité dans le service aux consommateurs devrait donc être absolue.

En particulier, le Tribunal judiciaire de Paris se garde bien de répondre à l’un des arguments mobilisés depuis longtemps par les défenseurs des courtiers, en pareil cas : celui de l’opposabilité du contrat de mandat aux tiers. Une décision judiciaire rendue à la demande d’un consommateur serait fort intéressante. Car il résulte très clairement de l’article 1200 du Code civil que « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. » L’essence même du contrat de mandat réside dans la liberté du Mandant de choisir le Mandataire. Et dans l’absence de toute interférence des tiers dans ce choix. Cette conséquence juridique s’applique aux mandats des courtiers d’assurance, par exemple, dans leurs relations avec les entreprises agréées d’assurance.

Une disposition de nature légale serait bienvenue, étant de nature à clarifier le sujet. Une proposition a circulé, en 2021. Les Parlementaires seraient bien inspirés de s’y intéresser. Un contrat de mandat de recherche de prêt, et de représentation, confié par un consommateur à un courtier en crédit s’impose de toute évidence à toute banque. Gageons que l’avis, bien mal fondé et mal inspiré, du Tribunal judiciaire de Paris poussera à la clarification nécessaire de ce point essentiel, en suspens depuis des années en dépit des communications contraires, illustrant une pratique courante des banques, directement détrimentaire aux droits des consommateurs, comme au bon équilibre du marché de la banque de détail.

Maître Katarzyna Hocquerelle (www.avocatlegal.com) et Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr).

Katarzyna Hocquerelle, Avocat, vous accompagne dans les problématiques juridiques de votre activité économique.

Laurent Denis, Avocat, pratique, diffuse, enseigne et critique le droit de la distribution bancaire et d’assurance.

Points d’attention, en pratique pour l’IOBSP :

  • Suivre avec attention le déroulé judiciaire de l’affaire en question, notamment sous l’angle des droits du Consommateur, plutôt que sous l’angle des droits des courtiers en général. À ce stade de la procédure, tout revirement jurisprudentiel reste toujours possible.
  • La rédaction du contrat de mandat de recherche de capitaux peut être étoffée. La liste nominative des banques que le Consommateur, Client, souhaite solliciter peut utilement figurer dans ce mandat de représentation, de même que le rappel explicite des obligations des tiers, en matière de contrat de mandat.
  • Tout consommateur lésé dans l’exercice de ses droits peut faire un signalement à la DGCCRF. Le Client Mandant d’un contrat de mandat, auquel une banque refuse par principe l’examen d’une demande de crédit, au seul motif qu’il est représenté par un courtier que cette banque « n’agrée pas », peut faire un signalement à la DGCCRF, par l’intermédiaire de la plateforme SignalConso (https://signal.conso.gouv.fr/fr).
En bref :Tribunal judiciaire de Paris, 15 octobre 2024, n°23/12021.Article 1200 du Code civil (contrats).Article 1984 et suivants du Code civil (mandat).

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