Dans un monde bancaire en quête de flexibilité et de proximité client, les mandataires exclusifs sont devenus des acteurs incontournables. À travers eux, les banques étendent leur influence et leur force commerciale. Mais à quel prix ? L’arrêt du 7 mai 2025 de la Cour de Cassation rappelle une vérité gênante pour les établissements financiers : confier son démarchage, c’est aussi confier sa responsabilité.
Désormais, une faute du mandataire engage automatiquement la banque, sans possibilité d’échapper à ses obligations.
Cette évolution soulève une question cruciale : jusqu’où les banques peuvent-elles faire confiance à leurs mandataires ? Et surtout, comment éviter que cette confiance ne se transforme en risque juridique ?
La tentation de la délégation : une arme à double tranchant
Face à des consommateurs exigeants et à un marché ultra-concurrentiel, les banques doivent être partout, tout le temps. Les mandataires exclusifs sont devenus pour des produits de niche, un bon moyen d’atteindre des clients
- Présents localement,
- Agiles et moins coûteux que des agences classiques,
- Capables d’offrir un service personnalisé et réactif.
Cependant, cette externalisation a un revers : la perte de contrôle direct sur le processus de vente.
Le démarchage bancaire, un terrain risqué
Le démarchage bancaire n’est pas une vente ordinaire. Il touche à des domaines sensibles :
- Le crédit, engageant les finances sur des décennies,
- L’assurance emprunteur, pierre angulaire de la protection des familles,
- Les produits d’épargne ou d’investissement, souvent complexes pour les néophytes.
Un démarchage mal conduit peut mener à des pratiques abusives ou à des engagements financiers désastreux pour les clients.
L’arrêt du 7 mai 2025 : la confiance n’exonère pas la responsabilité de la banque
En 2006, un couple sollicite un prêt immobilier auprès d’un mandataire (IOBSP) pour financer l’achat de biens destinés à être exploités en location meublée.
Le crédit est obtenu par l’intermédiaire d’un mandataire exclusif mandaté par la banque pour démarcher la clientèle.
Clauses contractuelles : Le contrat de prêt contient une clause de soumission volontaire au Code de la consommation, bien que l’opération ait un objectif professionnel (activité locative).
Défaillance : Après la souscription du prêt, les emprunteurs rencontrent des difficultés financières. La banque prononce la déchéance du terme et les assigne en remboursement du capital restant dû.
Contestation par les emprunteurs :
Ils invoquent la protection du Code de la consommation du fait de la clause de soumission volontaire, malgré la destination professionnelle du prêt.
- Ils reprochent à la banque des manquements du mandataire exclusif lors de la souscription du crédit, notamment en matière d’information et de conseil.
Décision de la cour d’appel :
- La cour reconnaît la validité de la clause de soumission volontaire au Code de la consommation.
- En revanche, elle considère que la responsabilité de la banque n’est pas engagée, faute pour les emprunteurs d’avoir démontré une faute personnelle de la banque dans le démarchage réalisé par le mandataire.
Pourvoi en cassation : Les emprunteurs contestent cette analyse, soutenant que la banque est responsable de plein droit des actes du mandataire exclusif.
Ce que dit la Cour de cassation
Dans son arrêt, la Cour rappelle que la banque engage sa responsabilité de plein droit pour toute faute commise par son mandataire exclusif, en application de l’article L. 341‑4 III du Code monétaire et financier.
« La banque est responsable de plein droit des actes de démarchage accomplis pour son compte par ses mandataires exclusifs, sans pouvoir s’exonérer par la preuve d’une absence de faute personnelle. »
La décision est claire : aucune échappatoire possible. Même sans faute de sa part, la banque devra répondre des erreurs de ses mandataires.
Une responsabilité sans filet
Contrairement au droit commun du mandat, où il faut prouver une faute du mandant pour engager sa responsabilité, ici, la simple faute du mandataire suffit. Pour les banques, c’est un véritable transfert du risque juridique :
- Une mauvaise information,
- Une négligence dans l’explication des risques,
- Une pression indue sur un client fragile,
et la banque se retrouve en première ligne, sans pouvoir se dédouaner.
Confiance ne rime pas avec imprudence : quelles précautions prendre ?
Avant le mandat : choisir avec discernement
La première erreur serait de choisir un mandataire sur la seule base de son carnet d’adresses ou de son réseau local.
Les banques doivent :
- Enquêter sur l’honorabilité de l’intermédiaire,
- Vérifier ses qualifications (notamment IOBSP pour les crédits),
- Évaluer ses compétences éthiques et juridiques.
Le recrutement d’un mandataire doit suivre des procédures aussi rigoureuses que l’embauche d’un salarié.
Pendant le mandat : encadrer et contrôler comme la Loi le prévoit pour les courtiers, vérifier les documents et capacité d’exercice annuellement. Un contrat clair et exigeant ne suffit pas. La banque doit :
- surveiller la formation de ses mandataires,
- Auditer leurs pratiques,
- Exiger des reportings précis sur leurs démarches commerciales,
- Imposer une charte déontologique applicable à chaque démarche.
La vigilance doit être constante. Dans ce contexte, le laxisme est un luxe que les banques ne peuvent plus se permettre.
En cas de faute : agir vite
Si un incident survient :
- Reconnaître rapidement le problème,
- Proposer des solutions amiables au client lésé,
- Rompre immédiatement le mandat du fautif pour limiter les risques de contentieux en série.
L’inaction ou le retard dans la gestion d’un manquement peut aggraver la responsabilité de la banque.
L’emprunteur : le grand gagnant de cette évolution ?
Pour les emprunteurs, cette jurisprudence est une bénédiction :
- Ils n’ont plus à prouver que la banque a elle-même commis une faute,
- Ils peuvent obtenir réparation rapidement en cas de faute du mandataire,
- Ils bénéficient indirectement d’une vigilance renforcée sur la qualité des conseils et des démarches.
En renforçant la responsabilité des banques, la Cour de Cassation protège les consommateurs, tout en incitant à un assainissement du démarchage bancaire.
Le démarchage bancaire est une arme commerciale puissante, mais dangereuse si elle est mal maniée. L’arrêt du 7 mai 2025 pose une règle simple : mandater, c’est répondre. Pour les banques, la leçon est claire : la confiance n’exclut jamais la prudence. Il leur appartient désormais de professionnaliser et de surveiller rigoureusement leurs réseaux de mandataires pour transformer ce risque en opportunité. Dans le monde bancaire d’aujourd’hui, la délégation commerciale est un pari qui ne se gagne qu’avec une vigilance de tous les instants.
Bachir BORAUD
Juriste à l’ipeb.