
Il y a des parcours qui ne doivent rien au hasard. Celui d’Aurélie Moussa en fait partie. Quand elle raconte ses débuts, on devine déjà la détermination tranquille de celles qui n’ont jamais eu peur de changer de voie, ni de se réinventer.
Dans le Pays de Montbéliard, dans le Doubs, là où les collines tutoient l’industrie, elle a construit une carrière à facettes : courtière en crédits immobiliers indépendante, experte en regroupement de crédits, et coordinatrice nationale de l’Union des Intermédiaires de Crédit (UIC). Plusieurs casquettes, une même conviction : défendre un métier essentiel à la vie des ménages, souvent mal compris, parfois malmené, mais toujours utile.
De la communication à l’intermédiation : un parcours guidé par la relation humaine.
« Je n’ai pas toujours été dans le monde du crédit », sourit-elle d’entrée de jeu.
Diplômée en marketing et publicité, Aurélie ne perce pas dans ce secteur. A contrario, elle commence sa carrière dans le secteur de la construction de maisons individuelles (CCMI). Elle y découvre, presque par hasard, le rôle crucial du financement.
« Quand on vend une maison, on ne vend pas seulement des briques. On vend un projet de vie. Et ce projet, il n’existe que si le financement suit.»
C’est ainsi qu’elle se familiarise avec les banques, les plans de financement, les taux, et surtout les attentes des familles. Ce premier contact avec le monde du crédit agit comme une révélation. Elle y voit un métier où la technicité financière rejoint la fibre humaine, où l’écoute vaut autant que la compétence.
Mais la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. À la naissance de son premier enfant, Aurélie marque une pause professionnelle. « Je crois que c’est dans ces moments-là qu’on prend du recul », confie-t-elle. Elle observe, apprend, mûrit. Quelques années plus tard, elle intègre une société de regroupement de crédits en tant que salariée. Le domaine est différent, mais la mission reste la même : aider les gens à retrouver de la respiration dans leur budget.
Puis vient la maternité une seconde fois. Et avec elle, cette envie de reprendre la main sur son destin professionnel, compatible avec une vie de maman.
« Quand on devient mère, on comprend la valeur du temps, du sens et de l’équilibre. Je voulais exercer un métier qui me ressemble, être présente pour ma famille et les personnes que j’accompagne, sans renoncer à mes valeurs.»
Elle décide alors de s’installer à son compte, en indépendante IOBSP, avec une approche qu’elle résume simplement : « Je ne vends pas du crédit. Je construis des solutions et accompagne des vies » Cette phrase, presque anodine, dit tout de son positionnement : une professionnelle à la fois rigoureuse et profondément humaine.
Aujourd’hui, elle exerce en tant que courtière en prêts immobiliers (COBSP) et mandataire en regroupement de crédits (MIOB). Une double compétence logique en apparence, mais qui révèle une absurdité réglementaire bien française.
Une conjoncture réglementaire sous tension : défendre le métier, comprendre les règles.
À travers son engagement à l’UIC, Aurélie a pris une autre dimension.
« On ne devient pas coordinatrice nationale par hasard. C’est une responsabilité, mais aussi un engagement militant. »
Le monde de l’intermédiation de crédit vit en effet une période charnière. Les textes s’accumulent, les contrôles s’intensifient, et les exigences de conformité se complexifient.
« On est dans un secteur où la réglementation évolue plus vite que les outils. Pour la comprendre ,il faut sans cesse expliquer, vulgariser, et surtout rassurer.» Aurélie l’explique avec une précision d’horlogère : « Je suis COBSP en prêt immobilier et MIOB en regroupement de crédits. Au sein de ma structure, j’ai des MIOB. Ces mandataires ne peuvent pas exercer l’activité de RAC car ils ne peuvent pas être mandataire de mandataire… Absurde »
L’interdiction pour un MIOB d’avoir lui-même un MIOB bloque artificiellement des circuits pourtant maîtrisés, au détriment du client et sans justification économique.
Cette réflexion renvoie directement à un débat que nous avions ouvert dans
L’IOBETTE : dans le numéro de mars 2024, nous dénoncions déjà ces « lois absurdes » qui rendent l’intermédiation de crédit plus complexe qu’utile.
Quelques mois plus tard, Aurélie Moussa en offre l’illustration la plus concrète : celle d’une professionnelle lucide, engagée, et lasse de voir un métier essentiel corseté par des logiques administratives.
Autre sujet d’incompréhension : le conseil indépendant. En matière de prêt immobilier, la loi l’a prévu ; en matière de regroupement de crédits, il est expressément exclu par le Code monétaire et financier. Une anomalie pour Aurélie : « Pourquoi interdire le conseil indépendant aux ménages qui ont le plus besoin d’accompagnement ? » Le paradoxe est d’autant plus criant qu’il prive le client d’une vision objective de sa situation, alors même que le RAC (regroupement de crédits) est souvent le dernier levier de rééquilibrage budgétaire.
La professionnelle aborde aussi le sujet des honoraires de courtage, toujours sources de crispation.
« Certains notaires continuent de contester la légitimité des honoraires de courtier, alors qu’ils ne disent rien sur les frais d’agence immobilière.» Le constat est amer : la reconnaissance du travail d’intermédiation progresse lentement, parfois freinée par des réflexes corporatistes. Vient ensuite le thème brûlant du taux de l’usure. Aurélie y voit un mécanisme utile dans son principe mais devenu obsolète dans sa mise en œuvre. Elle plaide pour un calcul mensuel plutôt que trimestriel, afin de coller davantage à la réalité des taux du marché. Elle défend aussi la possibilité de dérogations encadrées, notamment pour les dossiers de restructuration financière.
Et j’ajoute, en tant qu’observateur du secteur : pourquoi ne pas imaginer un taux d’usure spécifique au regroupement de crédits, réservé aux ménages ayant une impérieuse nécessité de restructuration ? Ce serait une manière pragmatique de concilier protection et accès au financement.
Aurélie le rappelle : le courtier n’est pas un faiseur de miracles, mais un technicien de la vie réelle. Il sait où les textes bloquent, où les banques ferment, où la mécanique institutionnelle se grippe. Or, cette mécanique s’est transformée en labyrinthe.
Lorsqu’elle évoque les associations professionnelles agréées, l’ORIAS, l’ACPR et les multiples instances qui gravitent autour du métier, son verdict est sans détour : « C’est la jungle ! » Une jungle faite de sigles, de doublons, de lenteurs et d’incohérences.
À ses yeux, il devient urgent de clarifier les périmètres : qui fait quoi, qui contrôle, qui représente ?
Son rôle à l’UIC ne l’a pas rendue indulgente avec les institutions. Au contraire.
Elle explique avec franchise que l’UIC n’est ni un organisme de formation ni un service de conseil. Son utilité réside ailleurs : dans la représentation collective, la veille réglementaire et la défense du métier face aux décisions qui se prennent trop souvent sans concertation.
De plus, elle ajoute : « La défense d’un professionnel devant la justice ne peut être portée que par un syndicat : c’est la seule instance légitime et reconnue pour le représenter. ». A l’UIC, nous sommes une voix.»
Cette distinction lui tient à cœur : elle protège la crédibilité du syndicat et la frontière entre intérêt collectif et prestation commerciale.
Mais derrière la technicienne, on retrouve la citoyenne engagée.
Prévenir l’endettement et accompagner la vulnérabilité.
En juillet 2025, Aurélie crée “LOUISE”, une association qui a pour objet de rendre l’éducation financière accessible à tous. Cette association a pour mission la prévention de l’endettement et l’éducation budgétaire. La date, choisie un 13 juillet – clin d’œil à la loi de 1965 qui a permis aux femmes d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur époux – symbolise l’autonomie et la responsabilisation financière. Son nom Louise, volonté d’humaniser cette association, avec ce prénom intergénérationnel et inter ethnique. Louise, comme un écho inversé aux “Louis” qui ont marqué l’histoire de la monnaie et du pouvoir ».

L’objectif est simple : donner aux familles les outils pour comprendre, anticiper et dialoguer. Louise s’adresse d’abord aux femmes, souvent premières gestionnaires du foyer, mais vise plus largement tout public en fragilité économique. L’association prépare des ateliers de sensibilisation, développe des partenariats avec des acteurs locaux et plaide pour une meilleure articulation entre éducation financière, inclusion bancaire et accompagnement social. L’association vise à prévenir le surendettement, à accompagner les personnes vulnérables, et à favoriser le dialogue entre institutions et citoyens.
« Ce n’est pas un projet militant, précise-t-elle. C’est du pragmatisme. Quand on apprend aux gens à comprendre leur budget, on leur rend du pouvoir. » Cette phrase condense son état d’esprit : la volonté d’agir là où les institutions ne vont plus, sans dogmatisme mais avec méthode.
Pour l’heure, Aurélie se dit épanouie par sa vie professionnelle, et si quelqu’un souhaite devenir IOBSP, elle lui dit : “vas-y, fonce !” Tout ne sera pas comme un long fleuve tranquille, et il y a des obligations en tant que chef d’entreprise qui ne sont pas très sympathiques, conclut-elle, mais le résultat est honorable. L’écoute, l’accompagnement, la concrétisation de projets et la satisfaction client, ça, ça aide à aller au boulot !
Propos recueillis par Jérôme Cusanno pour L’IOBETTE – Novembre 2025.


