Une découverte par hasard : le sous-financement des entreprises par les banques de la zone euro.

Dans le sillage de ses contrôles, la Banque centrale européenne (BCE) a fait un constat inattendu qui est venu troubler l’équilibre du financement en Europe : un resserrement du crédit aux entreprises, observé dans sa dernière enquête trimestrielle. Pourquoi ?

La surprise de la BCE : le crédit se contracte en Europe

Selon le Bank Lending Survey (BLS) publié par la BCE à la fin d’octobre 2025, les banques européennes ont de nouveau resserré leurs conditions d’octroi de crédit aux entreprises.

Ce n’est pas la première fois que le phénomène se produit, mais la BCE ne s’y attendait pas : elle anticipait une stabilisation, voire un léger assouplissement. Or, le rapport fait état d’un resserrement net de +4% des critères dans la zone euro, et d’un pic à +10% en Allemagne. Les banques justifient cette inflexion par une « perception accrue du risque économique et industriel ». Autrement dit, elles craignent que la conjoncture ne se dégrade et préfèrent sécuriser leurs portefeuilles. Ce mouvement a été renforcé par la montée des coûts de financement et les nouvelles obligations prudentielles liées à la directive européenne.

Le cas allemand : un baromètre de la prudence bancaire

C’est en Allemagne que le phénomène est le plus visible. D’après la Bundesbank, 10 % des banques interrogées ont durci leurs conditions sur les prêts aux entreprises au troisième trimestre 2025. Pourtant, la demande de crédit des entreprises reste soutenue, notamment dans l’industrie et la transition énergétique. Le paradoxe est donc flagrant : les entreprises veulent emprunter, mais les banques freinent. En toile de fond, plusieurs éléments se conjuguent : la crainte d’une récession industrielle ; la persistance de taux d’intérêt élevés ; et la prudence renforcée imposée par les nouvelles normes européennes. La BCE, qui comptait sur un redémarrage du crédit pour soutenir la croissance, se trouve ainsi confrontée à un contre-effet : la régulation protectrice produit une baisse de l’appétit pour le risque.

Un effet domino sur toute la chaîne du financement

La contraction du crédit bancaire ne s’arrête pas aux portes des grandes entreprises. Elle touche également les PME dépendantes du crédit d’exploitation ; les micro-entreprises recourant à des autorisations de découvert ; et même certaines collectivités locales dont les lignes de trésorerie passent par le même filtre prudentiel. Pour les établissements, cette prudence généralisée s’explique aussi par l’effet « Bâle IV », dont les exigences de fonds propres incitent à une sélectivité accrue. En clair, les banques préfèrent réserver leur capacité de crédit aux clients jugés les plus sûrs, au détriment de ceux qui en ont le plus besoin. Cette situation crée un effet ciseau : d’un côté, les besoins de financement augmentent ; de l’autre, les conditions se durcissent. Pour les IOBSP, cette tension peut devenir une opportunité : en jouant le rôle de médiateur entre entreprises et banques, le courtier qualifié peut aider à lever ces blocages.

Une « bulle d’oxygène » sélective

Malgré ce climat de prudence, il existe bel et bien une fenêtre de tir pour certaines entreprises. Les banques, conscientes de la rareté de la demande qualifiée, privilégient désormais les dossiers solides : projets clairs, ratios de solvabilité sains, et gouvernance rigoureuse. Les entreprises qui sauront se présenter sous leur meilleur profil peuvent donc tirer parti de ce contexte pour négocier : des conditions attractives sur le long terme ; une relation bancaire durable ; et parfois même un financement plus rapide, faute de concurrence sur le marché des emprunteurs de qualité. Cette bulle d’oxygène ne concerne toutefois qu’une minorité : elle distingue les acteurs préparés de ceux qui subissent. L’enjeu, pour les courtiers et conseillers, est d’aider leurs clients à franchir cette ligne de démarcation.

Focus : le marché français du crédit aux entreprises

En France, les données récentes montrent une dynamique contrastée. Selon les statistiques de la Banque de France : en avril 2025, la croissance des encours de crédits bancaires aux sociétés non financières (SNF) s’élevait à +1,2% pour les PME et entreprises de taille indéterminée, à +0,5% pour les ETI, et à -3,4% pour les grandes entreprises. En juillet 2025, l’accroissement annuel atteignait +1,2% pour les PME, +1,1% pour les ETI et +5,5% pour les grandes entreprises. 

Plus tard, à fin août 2025, l’encours total des crédits aux entreprises françaises atteignait 1 388 milliards € avec une croissance annuelle de +2,4%. La partie crédit d’investissement connaissait une hausse de +3,9%, tandis que les crédits de trésorerie affichaient une contraction de -3,2%.

Point important : malgré cette croissance, la progression reste modérée dans un contexte de taux d’intérêt élevés et de prudence bancaire accrue. Certains observateurs estiment que le marché français n’a pas connu de credit crunch massif, mais la dynamique reste fragile. 

Pour l’IOBSP, ces chiffres présentent une réalité double :

  • D’un côté, l’accès au crédit demeure globalement ouvert, ce qui peut être rassurant pour les entreprises clientes.
  • De l’autre, la croissance est faible, ce qui signifie que chaque dossier doit être préparé avec exigence, car la marge d’erreur est réduite et la concurrence entre emprunteurs qualitatifs s’intensifie.

Une vigilance sur le long terme

Le risque à moyen terme, selon plusieurs économistes, est celui d’une bulle inversée : moins de crédit → moins d’investissement → baisse de la productivité → fragilisation des bilans → encore moins de crédit. Ce cercle vicieux pourrait étouffer la reprise européenne si la BCE n’ajuste pas rapidement sa politique monétaire. La Commission européenne, de son côté, observe attentivement cette situation.

Une opportunité pour repenser le financement des entreprises

L’épisode actuel révèle surtout la fragilité du modèle bancaire européen, trop dépendant de la régulation et de la perception du risque. Pour les entreprises, c’est le moment de diversifier leurs sources de financement : crédit interentreprises, financement participatif, crédit-bail, fonds d’investissement locaux, et solutions hybrides (fintech, néobanques pro, etc.). Les IOBSP peuvent jouer un rôle clé dans cette mutation, en aidant les dirigeants à naviguer dans un écosystème de plus en plus complexe.

Ce que cela change pour les IOBSP

Pour les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), la période actuelle représente à la fois un défi et une chance. Les règles du jeu changent, mais le besoin d’intermédiation n’a jamais été aussi fort. Les courtiers doivent désormais :

  • comprendre les nouveaux standards de conformité bancaire ;
  • anticiper les réticences des comités de crédit ;
  • structurer les dossiers en tenant compte des ratios prudentiels et de la qualité de la documentation ;
  • valoriser la relation humaine dans un contexte de plus en plus algorithmique.

Ce que révèle cette « découverte par hasard » n’est pas simplement un resserrement du crédit ; c’est un rééquilibrage du financement où la banque, confrontée à la régulation, se place plus que jamais en place de juge de l’emprunteur. Le paradoxe est là : en voulant encadrer le risque, l’Europe a rappelé à tous combien le financement est le moteur invisible de l’économie réelle. Et dans ce nouvel environnement, la valeur ajoutée du courtier — celle du professionnel qui comprend à la fois la loi, la banque et l’entreprise — n’a jamais été aussi précieuse.

Jérôme CUSANNO 

Directeur de l’iepb 

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