
Le vacarme autour d’un «nouveau bail» qui n’existe pas
Depuis le 1er juillet 2025, un étrange brouhaha a envahi les réseaux sociaux et la presse spécialisée : on aurait inventé un « nouveau bail d’habitation notarié » qui révolutionnerait le recouvrement des loyers impayés. Certains ont même
parlé de « révolution silencieuse du logement », de « nouveau droit pour les bailleurs », voire de « tournant historique dans la protection des propriétaires ».
La réalité est beaucoup plus sobre – et, pour tout dire, beaucoup plus technique.
Il n’y a ni nouveau bail, ni réforme du bail d’habitation, ni prérogative inédite attachée au bail notarié. Ce qui a changé, c’est une procédure d’exécution forcée bien précise : la saisie des rémunérations.C’est Maître Dorian FOURNIER, notaire à l’île de Noirmoutier, qui a eu le mérite de rappeler publiquement, dans une note largement relayée sur LinkedIn, que la réforme ne concernait pas un hypothétique « nouveau bail », mais bien la simplification d’une procédure d’exécution.

Ce que dit vraiment la loi
La modification se trouve dans l’article L.212-2 du Code des procédures civiles d’exécution.
Jusqu’au 30 juin 2025, la saisie des rémunérations – c’est-à-dire la saisie d’une partie du salaire d’un débiteur par l’intermédiaire de son employeur – nécessitait obligatoirement l’intervention d’un juge, explique-t-il. Le créancier devait déposer une requête, attendre l’audience, obtenir une autorisation… Une procédure lourde, lente, parfois décourageante.
Depuis le 1er juillet 2025, ce passage par le juge n’est plus obligatoire lorsque la créance est constatée par un acte notarié authentique. Le commissaire de justice (nouvelle appellation des huissiers) peut désormais lancer directement la procédure.
En clair : si un bail a été signé devant notaire, et qu’il prévoit le paiement d’un loyer, ce bail a force exécutoire. En cas d’impayé, le commissaire de justice peut immédiatement enclencher une saisie sur salaire, sans audience préalable.
Pas seulement les baux : une réforme à portée générale
Comme l’a souligné Maître FOURNIER, la réforme ne concerne pas uniquement les baux d’habitation. Elle s’applique à tous les actes notariés qui constatent une créance liquide, exigible et non contestée.
Cela inclut :
- Les promesses de vente prévoyant une indemnité d’immobilisation ;
- Les prêts entre particuliers signés devant notaire ;
- Les reconnaissances de dettes authentiques ;
- Et, bien sûr, les baux notariés, commerciaux ou d’habitation.
Autrement dit, la portée dépasse largement la simple relation bailleur/locataire. Elle consacre un peu plus la puissance de l’acte notarié, déjà considéré depuis longtemps comme l’équivalent d’un jugement.
L’acte notarié, un « jugement prêt-à-l’emploi »
C’est là le cœur du sujet : l’acte notarié n’est pas un simple contrat, c’est un titre exécutoire.
En signant devant notaire, les parties ne se contentent pas de formaliser un accord. Elles confèrent à cet accord une valeur juridique particulière : celle d’un jugement déjà rendu.
C’est pourquoi les banques exigent souvent que les prêts immobiliers soient établis par acte authentique, et qu’elles réclament une « copie exécutoire » : en cas de défaut, elles n’ont pas besoin de procès. Le commissaire de justice peut directement exécuter le titre, que ce soit par saisie-attribution (sur comptes bancaires) ou, désormais plus facilement, par saisie sur rémunérations.
Avec cette réforme, le notariat se voit confirmé dans son rôle : produire des actes ayant une force exécutoire immédiate.
Pourquoi c’est une bonne nouvelle pour les bailleurs… et les banques
Pendant des années, les revenus locatifs ont été regardés avec une certaine méfiance par les établissements prêteurs.
- Procédures d’expulsion longues, parfois supérieures à deux ans.
- Débiteurs insolvables ou dissimulant leurs revenus.
- Recours judiciaires coûteux et aléatoires.
Résultat : certains banquiers prenaient l’habitude de minorer, voire d’exclure, les revenus locatifs dans les plans de financement, notamment lorsqu’ils reposaient sur des baux fragiles.
La réforme change la donne. Désormais, le bail authentique donne au bailleur une arme rapide et directe pour recouvrer ses loyers. Pour les banques, c’est une garantie supplémentaire : le flux locatif est mieux sécurisé.
Un courtier IOBSP peut donc avancer un argument solide : « Les loyers issus d’un bail notarié ont une valeur renforcée, car en cas de défaillance, le recouvrement peut être immédiat sur salaire. »
Les limites : tout n’est pas automatique
Bien sûr, cette évolution n’efface pas toutes les contraintes.
- La créance doit être non contestée : si le locataire soulève une contestation sérieuse (par exemple sur la validité du bail ou sur l’état du logement), le juge redevient compétent.
- La saisie sur salaire obéit à des règles strictes : une part insaisissable protège le minimum vital du débiteur.
- Les frais d’acte : un bail notarié est un acte tarifé par l’État, proportionnel au loyer. Le notaire ne peut ni négocier ni offrir de rabais.
Il ne faut donc pas vendre cette réforme comme une panacée, mais comme une amélioration substantielle de la sécurité juridique des revenus locatifs.
Une réforme silencieuse mais structurante
En apparence mineure, cette réforme participe au désengorgement des tribunaux civils. Elle redonne du sens au rôle des notaires et conforte les commissaires de justice dans leurs missions de proximité.
Surtout, elle a un impact direct sur le financement immobilier. En rendant le recouvrement des loyers plus efficace, elle permet aux banques de reconsidérer la fiabilité de ces revenus.
Pour les IOBSP, c’est un levier stratégique :
- Convaincre les investisseurs de passer leurs baux devant notaire pour sécuriser leurs loyers ;
- Négocier avec les banques une meilleure prise en compte des revenus locatifs ;
- Valoriser les plans de financement en mettant en avant la solidité des flux locatifs.
Le retour en grâce du bail notarié
Il n’y a donc pas de « nouveau bail » miracle. Mais il y a mieux : une procédure simplifiée qui redonne de la vigueur au pouvoir exécutoire de l’acte notarié.
En pratique, cela signifie que les loyers impayés sont plus facilement recouvrables, que les revenus locatifs regagnent leur crédibilité aux yeux des banques, et que les IOBSP disposent d’un nouvel argument de poids pour accompagner leurs clients.
Une petite réforme, passée presque inaperçue, mais qui pourrait bien réhabiliter le revenu locatif comme pierre angulaire du financement immobilier.
Jérôme CUSANNO
Directeur de l’iepb.




