
La banque mute. Depuis plusieurs années déjà, la fermeture des agences physiques rythme les plans stratégiques des grands établissements. Derrière les façades abandonnées, c’est tout un modèle qui bascule : moins d’emplois salariés, plus de digital, et une montée en puissance spectaculaire des indépendants. Freelances, packageurs, mandataires bancaires… Ces acteurs extérieurs deviennent des pièces essentielles du puzzle bancaire.
Pour les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), cette transformation n’est pas qu’un lointain phénomène RH. Elle annonce peut-être un futur où leur rôle changera de nature, et où leurs compétences pourraient se monnayer bien au-delà du cadre actuel.
Les freelances : nouveaux piliers invisibles des banques
Le constat est clair : le recours aux freelances explose dans le secteur financier. Selon les données de Malt, plateforme leader du marché, les offres émanant des banques et assurances ont progressé de 20 % depuis 2023. Plus de 40 000 missions ont été publiées en 2024, contre 33 000 un an plus tôt.
Pourquoi un tel engouement ?
- La flexibilité : un freelance peut être mobilisé en quelques jours, là où un CDI exige des mois de recrutement.
- La maîtrise des coûts : pas de charges sociales ni de gestion lourde des RH, la prestation est facturée à la mission.
- L’expertise pointue : cybersécurité, blockchain, data science, conformité réglementaire, autant de compétences rares que les freelances apportent sur un plateau.
Dans un monde où l’open banking, la finance verte et l’IA redessinent sans cesse la carte du secteur, cette agilité devient vitale. Une banque qui doit lancer une nouvelle fonctionnalité mobile ou intégrer une directive européenne peut constituer une équipe freelance en quelques jours, là où son organisation interne serait paralysée.
Vers la banque « externalisée »
Cette logique ne s’arrête pas aux projets digitaux. Elle gagne le cœur même de l’activité bancaire. Dans de nombreux pays, la gestion des points de vente physiques est déjà confiée à des indépendants. En Belgique par exemple, de nombreuses agences bancaires sont tenues par des agents généraux de banque, sur le modèle des agents d’assurance.
En France, si ce modèle n’a pas encore été officialisé, certains observateurs estiment qu’il pourrait se déployer progressivement. Les banques réduisent leur réseau salarié, mais laissent un vide qu’il faudra combler : proximité client, accompagnement, pédagogie financière. Qui mieux que des professionnels indépendants, déjà aguerris à la relation commerciale, pourrait jouer ce rôle ?
Le parallèle avec les packageurs en regroupement de crédits
Dans le domaine du crédit, ce mouvement d’externalisation n’est pas une hypothèse : il est déjà une réalité. Les packageurs en regroupement de crédits en sont la meilleure illustration.
Ces structures prennent en charge :
- la mise en forme des dossiers,
- la vérification de la conformité,
- la négociation avec les banques partenaires.
Le courtier délègue une partie de sa chaîne de valeur à un acteur indépendant, qui centralise et fluidifie la relation avec les établissements prêteurs. Pour les banques, c’est un double avantage : elles sécurisent la qualité des dossiers tout en s’appuyant sur un réseau d’indépendants spécialisés.
C’est donc déjà une externalisation fonctionnelle : un pan entier du métier bancaire est confié à des acteurs non salariés.
Les mandataires PS2E : quand l’indépendant devient essentiel
Le rôle des mandataires exclusifs ou non-exclusifs de banques illustre cette mutation. Loin de n’être que de simples apporteurs d’affaires, ils sont considérés juridiquement comme des PS2E – prestataires de services essentiels externalisés.
Ce statut n’est pas anodin. Il traduit une réalité : sans ces acteurs indépendants, certaines fonctions critiques de la banque (prospection, intermédiation, conseil de premier niveau) ne pourraient pas être assurées. La réglementation elle-même reconnaît donc que ces mandataires ne sont plus périphériques, mais bien structurants pour le modèle bancaire.
De nouveaux métiers indépendants émergent dans la banque
Le phénomène dépasse le champ du crédit. La montée en puissance des nouveaux métiers indépendants dans la banque est documentée :
- Consultants en gestion de patrimoine : conseils sur mesure, fiscalité, transmission, investissements.
- Experts en fintech : création d’applis mobiles, blockchain, plateformes de prêt P2P.
- Conseillers en investissement indépendants : approche personnalisée, moins biaisée que celle des réseaux bancaires traditionnels.
- Spécialistes en cybersécurité : garants de la protection des données, face à l’explosion des fraudes.
- Analystes de données financières : exploitant la data pour orienter la stratégie et optimiser la relation client.
- Experts réglementaires : veille et mise en conformité (RGPD, finance durable, directives européennes).
- Gestionnaires de risques : évaluant les impacts de marchés, de taux ou de géopolitique.
Tous ont un point commun : ils opèrent hors des murs de la banque, mais contribuent directement à sa solidité et à son développement.
Opportunités pour les IOBSP : trois pistes concrètes
Face à ce paysage en recomposition, quel avenir pour les intermédiaires de crédit ? Loin d’être marginalisés, ils pourraient au contraire devenir des acteurs centraux du modèle bancaire de demain.
Opportunité 1 : devenir le relais de proximité des banques
Les fermetures d’agences laissent un vide. Les IOBSP, déjà implantés dans le tissu local, pourraient jouer ce rôle de « mini-agences externalisées ». À l’image des agents généraux d’assurance, ils deviendraient le visage humain d’une banque digitalisée. Et si l’un d’entre vous commençait par proposer ce service à une banque pour se réimplanter dans un désert rural ?
Opportunité 2 : se spécialiser sur les niches stratégiques
La banque aura besoin de partenaires spécialisés : crédit immobilier vert, financement des énergies renouvelables, conformité LCB-FT, crédit aux TPE. L’IOBSP formé sur ces thématiques pourrait se positionner comme expert indispensable, capable d’apporter un avantage compétitif à ses partenaires bancaires.
Opportunité 3 : devenir packageurs multiservices
Au-delà du regroupement de crédits, pourquoi ne pas imaginer des packageurs généralistes qui traiteraient tous types de dossiers (crédit pro, conso, immo) mais aussi offriraient des services bancaires de proximité ? Cette logique industrielle renforcerait la profession tout en ouvrant de nouveaux relais de croissance.
Les IOBSP au cœur d’une révolution silencieuse
La transformation bancaire est en marche, et elle ne se limite pas aux fermetures d’agences ou à la multiplication des applications mobiles. C’est un changement de paradigme : la banque ne se pense plus comme une organisation centralisée, mais comme une plateforme d’externalisation.
Freelances, packageurs, mandataires PS2E, consultants indépendants… tous participent déjà à cette mutation. Pour les IOBSP, le futur proche n’est pas une menace, mais une formidable opportunité : devenir les piliers visibles d’une banque éclatée, agile et externalisée.
L’histoire n’est pas encore écrite. Mais une chose est certaine : dans la banque de demain, les indépendants seront au centre du jeu.
Jérôme CUSANNO
Directeur de l’iepb.




