
Le débat sur la rémunération des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement est loin d’être anodin. Depuis 2019, certaines banques ont drastiquement réduit voire supprimé les commissions, invoquant la moralisation du marché, mais motivées en réalité par des logiques d’économie interne. En parallèle, au plan européen, plusieurs États membres ont choisi l’interdiction pure et simple des commissions en matière de crédit ou de placement financier, au nom de la lutte contre les conflits d’intérêts.
Le dispositif du conseil indépendant prévu par la Directive (UE) 2016/97 (IDD) et par la Directive (UE) 2014/17 (DCI) en est l’illustration : lorsqu’intervient un conseil indépendant, aucune commission bancaire ne peut être perçue. Le sujet est donc stratégique : il touche à l’économie de toute une profession, mais aussi à l’accès au crédit des ménages. C’est un terrain où les positions se tendent vite et où les raccourcis idéologiques prospèrent.
Un modèle qui garantit l’accès au crédit
La première réalité est simple. Si les courtiers facturaient systématiquement des honoraires directs, une partie des emprunteurs – notamment modestes – renoncerait à l’accompagnement. Le commissionnement permet d’assurer l’accès au marché, d’accompagner des profils parfois fragiles, sans faire peser un coût immédiat sur eux.
Ce modèle a façonné le marché français : une intermédiation dynamique, plurielle et accessible.
Les rares suppressions de commissions opérées par banques ou assurances ont, dans certains cas, provoqué une baisse de production et un recul du choix proposé au consommateur. Par exemple : aux Pays-Bas, depuis l’instauration du “provisieverbod” (interdiction des commissions) en 2013 pour les produits complexes (crédits, assurances, placements) : les conseils indiquent qu’après l’interdiction les ménages ont moins souvent demandé de conseil rémunéré, et que le nombre de conseillers/intermédiaires s’est réduit.
Au Royaume-Uni, le régime Retail Distribution Review (RDR) a interdit dès 2013 les commissions sur les conseils en investissement grand public. Cette mesure visait à réduire les conflits d’intérêts, mais elle a aussi entraîné un resserrement de l’offre de conseil et une consolidation du marché.
Il s’ensuit que moins d’intermédiation signifie, dans certains cas, plus de centralisation entre les mains des grands réseaux.
Commissionnement : un risque… mais encadré
Faut-il pour autant écarter la critique principale ? Non.
L’incitation financière peut pousser un intermédiaire mal intentionné à privilégier un produit mieux rémunéré plutôt qu’un produit plus avantageux pour son client. Le conflit d’intérêts existe dans tous les métiers de conseil rémunérés par un tiers : assureurs, agents immobiliers, prestataires financiers.
La différence tient dans l’encadrement juridique :
- devoir de loyauté, honnêteté et respect de l’intérêt du client
- transparence sur la rémunération
- justification écrite de la recommandation dans le cadre du devoir de conseil
- responsabilité civile professionnelle
- contrôles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou des autorités compétentes
- interdiction de rémunération préalable au déblocage des fonds
L’intermédiaire ne peut plus être un simple apporteur d’affaires. Il doit démontrer la pertinence de son travail et rendre son intérêt aligné avec celui du consommateur.
Et il convient de rappeler qu’au-delà du droit public, la notion de conflit d’intérêts a aussi une place en droit privé : il s’agit d’une situation dans laquelle la personne placée en relation contractuelle a un intérêt personnel ou externe susceptible d’interférer avec l’exercice loyal de ses obligations envers l’autre partie.
Une réalité moins vertueuse : paliers et sur-commissionnements
Le débat gagnerait en crédibilité s’il ne se privait pas de réalités du terrain.
Le commissionnement n’est pas uniforme.
Il existe des paliers d’augmentation de rémunération, parfois spectaculaires :
- un producteur individuel peut percevoir 1 à 2 % ;
- un packageur très performant peut atteindre 8 à 10 %
Soit une rémunération jusqu’à dix fois supérieure pour un même produit. Cela pose une vraie question déontologique.
- Le public en a-t-il connaissance ?
- Les mandataires MIOB sont-ils informés de la marge réelle du réseau auquel ils adhèrent ?
- Le client reçoit-il une information juste sur l’incitation derrière la préconisation ?
Le Code monétaire et financier impose l’information sur la rémunération. Dans la pratique, la granularité de cette transparence reste très variable. Les sur-commissions tombent souvent dans une zone grise que certains qualifient pudiquement de « secret d’affaires ».
Le débat réglementaire futur est là. Pas dans une croisade idéologique contre les commissions, mais dans une exigence absolue de transparence.
Vers un modèle plus clair : conseil ou intermédiation, il faut choisir
Le droit européen a instauré un distinguo très clair :
| Activité exercée | Commission bancaire | Honoraires client | Devoir de conseil formalisé |
| Courtage classique | ✅ Oui | ✅ Possible | ✅ Oui, selon l’analyse du besoin |
| Conseil indépendant | ❌ Interdit | ✅ Obligatoire | ✅ Renforcé |
Cette séparation a du sens. Elle permet au marché de proposer deux modèles :
- un accès gratuit au courtage/intermédiation via commission
- une prestation plus approfondie, financée par le client, et sans biais économique
Encore faut-il que ces modèles soient compris et assumés par les professionnels.
Position de principe : défendre le commissionnement… en l’améliorant
La suppression du commissionnement serait un non-sens économique et social :
- affaiblissement des petits courtiers
- recul du choix pour les emprunteurs
- renforcement du pouvoir bancaire
- exclusion des ménages modestes du conseil
Le commissionnement doit donc être défendu, à condition d’être moralement crédible.
Trois pistes s’imposent :
- Transparence totale
• détail des paliers
• rémunération exacte du réseau et du courtier mandataire
• traçabilité dans la préconisation - Distinction claire des missions
• information loyale sur l’existence ou non d’un conseil indépendant
• contrat clair indiquant si l’intermédiaire agit pour le client ou pour la banque - Renforcement de la gouvernance bancaire
• les banques ne devraient pas structurer des sur-commissions incitant à violer l’interdiction de conflit d’intérêts
• suivi et audit indépendant des circuits de rémunération
La profession a plus à gagner qu’à perdre en prenant de l’avance sur ces sujets.
Conclusion : ne pas “mourir conforme”, mais convaincre par l’exigence
Le commissionnement n’est pas une anomalie du marché français. C’est un pilier de l’accès au crédit et de la vie économique des IOBSP.
Le démanteler au nom d’un conflit d’intérêts théorique reviendrait à priver des millions de ménages d’un accompagnement utile et protecteur. La réponse ne doit pas être l’interdiction, mais la responsabilisation.
Le métier de courtier doit rester un contre-pouvoir au service du consommateur. Pour le rester, il doit afficher ses intérêts de façon claire pour que sa loyauté ne soit jamais mise en doute.
Eleonor ZAMATY
Juriste à l’iepb


