
La France s’apprête à modifier l’encadrement du crédit à la consommation et, plus précisément, des facilités de trésorerie de type découvert bancaire ou facilité de caisse. L’ordonnance du 3 septembre 2025 transpose la directive européenne DCC2, et entrera pleinement en œuvre à compter du 20 novembre 2026. Ce changement est souvent mal compris : certains médias annoncent la « fin du découvert autorisé », d’autres voient un durcissement spectaculaire.
En réalité, les modifications sont importantes mais nuancées. UFC-Que Choisir. Pour les emprunteurs et les IOBSP, il s’agit d’un moment clé : d’un côté une meilleure protection des ménages, de l’autre une exigence accrue de transparence et de solvabilité, ouvrant aussi de nouvelles opportunités — notamment de transformation des découverts chroniques ou coûteux en solutions plus saines.
Ce qui change – le cadre juridique
La réforme modifie le champ des opérations considérées comme « crédit à la consommation ». On peut lire dans le site service-public :
« Une ordonnance du 3 septembre 2025 modifie les règles du crédit à la consommation à partir du 20 novembre 2026. Les modifications sont notamment les suivantes : extension du champ du crédit à la consommation aux mini-crédits, paiements fractionnés, crédits de moins de 3 mois et crédits jusqu’à 100 000 € ». Service Public Ceci signifie que des opérations de trésorerie ou facilités ponctuelles, jusqu’alors en partie « hors crédit » au sens stricte, peuvent désormais entrer dans ce champ.
L’un des aspects les plus commentés concerne le découvert bancaire ou la facilité de caisse. Selon la Fédération bancaire française (FBF) :
« Les découverts de moins de 200 € et de moins d’un mois intègrent le cadre réglementaire du crédit à la consommation, les autres étaient déjà dans ce cadre. » Fédération bancaire française
Le site indique ainsi :
« L’autorisation de découvert bancaire sera davantage encadrée à compter du 20 novembre 2026. (…) Lorsque vous êtes en situation de découvert bancaire, la banque qui gère votre compte peut continuer à le faire fonctionner… Actuellement, lorsqu’une demande de découvert est réalisée pour un montant égal ou supérieur à 200 € et/ou pour une durée de plus d’un mois, votre banque est dans l’obligation d’effectuer une analyse de votre solvabilité. (…) La directive du 18 octobre 2023 (…) élargit cette obligation aux découverts de moins de 200 € et/ou d’une durée de moins d’un mois. » Service Public En clair : le découvert devient — dans certains cas — assimilé à un crédit à la consommation et soumis aux obligations d’étude et d’information.
Des obligations accrues pour les prêteurs
Parmi les changements majeurs, on peut citer :
- Obligation d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur ou du client avant d’octroyer l’autorisation de découvert, de façon proportionnée au montant et à la durée.
- Obligation d’information renforcée : transparence sur le coût, mention du TAEG, modalités de remboursement, etc.
- Les autorisations de découvert existantes avant l’entrée en vigueur ne seront pas impactées directement.
Cette réforme peut-être regardée sous 2 angles :
Angle 1 : La protection du consommateur
Le constat est le suivant : de nombreux ménages utilisent régulièrement le découvert bancaire comme outil de trésorerie, parfois de façon chronique. Or le coût des découverts (agios, commissions d’intervention, frais de dépassement) peut être élevé, et la tolérance bancaire parfois mal cadrée.
La réforme vise donc à :
- Limiter le risque de surendettement, en exigeant une meilleure étude de solvabilité avant accord.
- Améliorer la transparence des coûts pour le client, de sorte que ce dernier sache ce qu’il consomme comme crédit.
- Encourager des pratiques plus responsables des établissements bancaires vis-à-vis des clients à découvert fréquent.
Pour l’emprunteur particulier, l’un des grands avantages est de sortir d’un statut ambigu : le découvert est parfois présenté comme une simple « avance », alors qu’il fonctionne dans les faits comme un crédit (intérêts débiteurs, frais, commission) mais sans les protections associées aux crédits classiques.
Avec la réforme :
- Le client aura une meilleure information sur la nature de la facilité accordée.
- La banque devra vérifier sa capacité à faire face au découvert, ce qui réduit le risque de voir le découvert se transformer en impasse cumulée.
- Dans certains cas, cela ouvre la voie à transformer un découvert chronique en prêt amortissable, plus lisible, avec mensualités définies, ce qui peut soulager un budget fragile.
- Pour un IOBSP ou courtier, c’est un angle d’accompagnement intéressant : «Votre découvert sera traité comme un crédit, voyons comment sortir de cette situation ».
Limites et vigilance à avoir
Cependant, certains éléments méritent d’être nuancés :
- La réforme ne supprime pas les découverts autorisés. Comme l’indique la FBF : « Un découvert autorisé n’est pas automatique et cette règle restera vraie après le 20 novembre 2026. »
- L’étude de solvabilité est « proportionnée » à la situation (montant, durée). Elle ne signifie pas que toute demande sera rejetée. Mais les découverts seront autorisés pour ceux qui peuvent les rembourser, il y aura donc des exclusions à prévoir alors que parfois il s’agissait de la dernière possibilité pour certains ménages qui devront alors trouver une alternative.
- Pour certains ménages, le découvert reste un outil de trésorerie utile — le durcissement ne doit pas conduire à un refus systématique sans alternative. Il faudra donc anticiper en tant que courtier.
Pour les professionnels de l’intermédiation, cette réforme ouvre deux pistes :
- Prévention et accompagnement des ménages concernés par des découverts chroniques : repérage, simulation d’un rachat ou d’une conversion en prêt amortissable, éclairage sur le coût réel.
- Opportunités commerciales : les établissements bancaires et les partenaires peuvent proposer de nouveaux produits ou services « sortie de découvert » que vous pouvez marketer auprès de votre cible.
Angle 2 : Le découvert traité comme crédit à la consommation – un outil protecteur pour l’emprunteur et pour la banque
Transformer le découvert en prêt amortissable
Un aspect moins souligné mais fondamental : en qualifiant le découvert comme crédit à la consommation (dans certains cas), on ouvre la voie à une restructuration de trésorerie maîtrisée. En effet, un découvert fréquent ou élevé représente :
- un coût permanent (intérêts et frais),
- un indicateur de fragilité budgétaire,
- un frein potentiel à l’obtention d’un prêt plus important (immobilier, professionnel).
En proposant de convertir ce découvert en prêt amortissable (une mensualité fixe, une durée définie), on permet :
- de donner de la visibilité à l’emprunteur sur sa situation (« je sais que je rembourse tant d’euros chaque mois pendant tant de mois »)
- d’alléger à moyen terme le coût financier (si le TAEG du prêt est inférieur aux agios cumulés)
- d’améliorer la capacité de solvabilité de l’emprunteur, puisqu’une charge bien définie est mieux acceptée que des frais intermittents et flous.
La question de la solvabilité et du profil emprunteur
Un argument qu’on entend souvent : « Si on considère le découvert comme un crédit à la consommation, on va dégrader la situation de l’emprunteur, son taux d’endettement va s’envoler et cela l’empêchera d’emprunter ! »
En réalité, la situation est plus subtile :
- Dans les faits, un découvert « classique » est déjà une charge réelle pour l’emprunteur. Les agios sont prélevés mensuellement.
- En le convertissant en prêt amortissable, on rend la charge identifiable, régulière, ce qui peut même améliorer la lisibilité du budget aux yeux d’un prêteur.
- Tant que la nouvelle mensualité est intégrée dans l’analyse globale du dossier (revenus, charges, reste à vivre, taux d’endettement), cela ne change pas fondamentalement l’équation : on remplace une charge variable et souvent mal suivie par une charge fixe et maîtrisée.
- Du côté bancaire, cela réduit le risque de non-remboursement, car la structure est plus rigide et transparente.
Le rôle du courtier / IOBSP dans cette transformation
Pour un IOBSP ou courtier, cette évolution est une nouvelle offre de valeur :
- Être le diagnostiqueur des découverts chroniques : identifier les clients avec des facilités chères, proposer une conversion ou un rachat avec intégration du découvert.
- Mettre en avant la transparence des coûts : montrer au client ce qu’il paie aujourd’hui en agios + commissions + frais et ce qu’il pourrait payer dans une solution amortissable.
- Accompagner la consolidation de crédit incluant le découvert ; dans une opération de regroupement, on intègre souvent les découverts dans le dossier. Cette réforme le légitime encore plus.
- Surveiller les impacts sur la solvabilité : anticiper que certains dossiers avec découvert important devront être traités comme un crédit à la consommation et donc formalisés.
Points de vigilance & quelques questions ouvertes
Le seuil de 200 € / un mois
Comme l’indique la FBF et les guides, la réforme ne s’applique directement qu’aux découvert autorisés « égal ou supérieur à 200 € » et/ou d’une durée supérieure à un mois, avant la réforme. Après le 20 novembre 2026, c’est élargi aux découverts de moins de 200 € ou d’une durée inférieure à un mois. Fédération bancaire française Il convient donc de bien segmenter les profils : tous les découverts ne seront pas systématiquement soumis à la rigueur d’un crédit à la consommation.
Les autorisations antérieures sont à distinguer
Les autorisations de découvert existantes ne seront pas impactées directement, ce qui signifie que les clients déjà en découvert autorisé ne verront pas leur situation automatique modifiée le 20 novembre 2026.
Toutefois, lors d’un renouvellement ou d’une modification, la banque doit tenir compte du nouveau cadre.
Même si le cadre réglementaire change, le comportement des établissements bancaires (politique d’octroi de découvert, coûts, commissions) reste un élément clé. La directive et l’ordonnance imposent des obligations mais ne fixent pas de seuils uniformes de taux ou de frais. La banque conserve une marge d’appréciation.
Pour les ménages qui utilisaient le découvert comme un amortisseur permanent, voire une diminution de leur flexibilité. Certains établissements envisagent de réduire les plafond ou d’être plus sélectifs. Pour l’IOBSP, il faudra donc être prêt à proposer des alternatives à ce type de client (assainissement de compte, consolidation, accompagnement budgétaire).
La réforme doit être lue dans un contexte plus large : crédit à la consommation, rachat de crédit, regroupement, etc. Le fait qu’un découvert soit traité comme un crédit à la consommation peut avoir des effets sur des dossiers plus larges (capacité d’endettement, taux d’effort, reste à vivre, etc.). L’IOBSP doit l’intégrer dans ses simulations, et non plus prévoir “une trésorerie de confort” pour combler le découvert et avoir de l’argent d’avance.
Selon moi, cette réforme marque un double mouvement : plus de protection pour le consommateur, mais aussi une lecture plus structurée et saine du découvert bancaire comme instrument de trésorerie ou de crédit. Pour les IOBSP et les professionnels du financement, c’est un moment stratégique pour accompagner les emprunteurs et anticiper les évolutions dans les dossiers.
Jérôme CUSANNO
Directeur de l’iepb


