Nullité d’un contrat de crédit pourtant remboursé par anticipation 

et : rappel que la charge de la preuve de la délivrance de l’obligation due par un Professionnel bancaire incombe à ce Professionnel, pas au Client.

Par : Maître Katarzyna Hocquerelle (www.avocatlegal.com) et Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr).

Katarzyna Hocquerelle, Avocat, vous accompagne dans les problématiques juridiques de votre activité économique.

Laurent Denis, Avocat, exerce, diffuse, enseigne et critique le droit de la distribution bancaire et d’assurance.

Une décision de novembre 2025 de la Cour de cassation, en crédit à la consommation, énonce que le contrat de crédit qui a fait l’objet d’un paiement par le prêteur dans le délai pourtant prohibé, de sept jours, est nul. Cette nullité est absolue : la règle ne peut être aménagée par le contrat (nullité dite « d’ordre public »). Les nullités d’ordre public frappent le contrat, même si l’emprunteur a effectué le remboursement par anticipation du prêt concerné. Au passage, la Cour de cassation rappelle, avec force, que le professionnel bancaire est toujours chargé de prouver qu’il a correctement délivré les obligations mises à sa charge. Une règle juridique lourde, encore mal connue, que chaque Intermédiaire en opérations de banque doit appliquer à l’ensemble de ses propres obligations. Elle nécessite : de bien identifier chacune de ces obligations ; de disposer d’un justificatif pour chacune d’elles ; de produire ce justificatif pour chaque Client.

Cour de cassation, Civ. 1ère du 5 novembre 2025 n°24-16652.

https://www.courdecassation.fr/decision/690af40028bf9d42b6ccd029

Les faits : un contrat de crédit à la consommation, affecté à l’achat d’un bien et souscrit à distance.

Le 16 octobre 2017, l’emprunteur souscrit, à distance (hors établissement), un contrat de crédit à la consommation pour acheter un équipement photovoltaïque, thème producteur de contentieux autant que d’énergie. L’équipement a été livré, dans le délai, et jamais raccordé au réseau électrique. Le 31 juillet 2019, l’acquéreur a procédé au remboursement intégral anticipé du crédit affecté, le 31 juillet 2019. Le vendeur du bien est en liquidation judiciaire.

Le 8 octobre 2019, l’emprunteur assigne le vendeur et la banque prêteuse en responsabilité, demandant l’annulation du contrat de vente et l’annulation du contrat de crédit.

La Cour d’appel (Paris, du 15 février 2024) rejette les demandes de l’emprunteur. Celui-ci se pourvoit en cassation. La Cour de cassation casse l’arrêt de Cour d’appel : elle déclare notamment la nullité du contrat de crédit. Les demandes formulées par l’emprunteur sont jugées recevables par la Cour de cassation, qui les renvoie pour jugement devant la Cour d’appel de Paris.

Tout contrat de vente à distance comporte des informations spécifiques relatives notamment au délai d’exécution des obligations du vendeur.

Le vendeur de biens qui vend par démarchage (hors établissement) doit faire figurer des informations particulières dans le contrat de vente de ce bien. À défaut : la vente est nulle. Si le bien est financé par un crédit : le contrat de crédit devient nul, également.

Ainsi, en cas d’absence d’exécution immédiate du contrat, le contrat de vente comporte : la date ou le délai auquel le professionnel s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service. Le contrat concerné (bon de commande) contenait la date de livraison et d’installation était mentionnée au bon de commande ; elle a été respectée.

La Cour de cassation juge cette information « insuffisante » (art. L. 111-1, 3° du Code de la consommation). Car : « un délai global ne permettait pas à l’acquéreur de déterminer de manière suffisamment précise quand le vendeur aurait exécuté ses différentes obligations. » 

Le Professionnel bancaire doit démontrer toutes les obligations dont il est légalement débiteur envers chaque Client.

La Cour de cassation rappelle : « qu’il appartient au débiteur d’une obligation particulière d’information d’établir qu’il a satisfait à cette obligation » selon le Code civil (article 1353). Dans le même sens : « La charge de la preuve du respect des obligations d’information mentionnées à la présente section pèse sur le professionnel » (article L. 221-7 du Code de la consommation.

Depuis 2016, tout professionnel est tenu de mettre à la disposition du consommateur un dispositif de réclamation et un Médiateur de la consommation (art. L. 111-1, 6° du Code de la consommation). En conséquence, il n’appartient pas à l’emprunteur de démontrer que les informations remises par le professionnel bancaire sont dépourvues de celles relatives au Médiateur de la consommation. Au contraire : il revient au professionnel bancaire de démontrer qu’il a porté ces informations relatives à la médiation de la consommation à la connaissance de l’emprunteur et de « rapporter la preuve de la régularité d’un tel contrat au regard des mentions légales devant y figurer à peine de nullité. »

Or, la Cour d’appel de Paris a erronément exigé que l’acquéreur produise « une copie du bon de commande » pour démontrer qu’il ne contient pas les conditions générales qu’il démontre « que le contrat qui lui a été remis ne mentionnait pas la possibilité de recours au médiateur. » La Cour de cassation censure cette décision : « en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés. »

Cette règle juridique de preuve incombant au professionnel s’applique à toutes les obligations précontractuelles d’un professionnel bancaire, y compris les Intermédiaires en opérations de banque : obligation « d’information » (limitée, au sens du Code civil : article 1112-1), obligation de présentation, obligation d’explication, de mise en garde, voire : obligation de conseil (pour les seuls courtiers et leurs préposés). Cela comprend également les autres obligations : en cas de vente à distance ou hors établissement, en matière de collecte, de traitement et de conservation des données personnelles, ou de compétence professionnelle (formation initiale et formation continue), notamment. 

Tout paiement effectué par le prêteur durant le délai de sept jours de la souscription du contrat de crédit à la consommation frappe ce contrat de nullité, même si l’emprunteur en a effectué le remboursement par anticipation.

La Loi édicte des interdictions générales, que le droit qualifie « d’ordre public » : le contrat ne peut les modifier. Leur enfreinte provoque la nullité du contrat, par exemple : de crédit. Le Tribunal doit juger systématiquement leur enfreinte, même si le demandeur n’en fait pas la demande. L’interdiction de mettre les fonds à disposition de l’emprunteur dans le délai de sept jours fait partie de ces interdictions d’ordre public. Or : la banque a mis les fonds à disposition du vendeur avant le délai de sept jours. Elle l’a fait au visa de la fiche de réception des travaux, dépourvue de toute réserve et d’une attestation de livraison du bien financé.

Or, toutes les démarches administratives de raccordement étaient à la charge du vendeur (bon de commande). L’attestation de livraison était donc insuffisante pour autoriser la banque à remettre les fonds du crédit au vendeur. La banque devait « s’assurer de l’exécution effective des prestations auxquelles le vendeur s’était engagé. » 

De plus, la Cour de cassation ajoute un élément de jugement (qu’elle « relève d’office », n’ayant pas été demandé par l’emprunteur ; art. 620 du Code de procédure civile). La Cour de cassation constate que la banque a effectué le paiement avant le terme du délai de sept jours fixé par le Code de la consommation (son article L. 312-25, jusqu’au 20 novembre 2026). Or, cette enfreinte par la banque est une cause de nullité du contrat de prêt (article 6 du Code civil).

Même le remboursement par anticipation ne « couvre pas » cette enfreinte : « […] la méconnaissance des dispositions d’ordre public […] ne peut être couverte par le remboursement anticipé du contrat par l’emprunteur. » 

Points d’attention, en pratique pour l’IOBSP :

  • Attention aux interdictions dites « d’ordre public » qui provoquent la nullité des contrats. La banque doit respecter l’interdiction de tout paiement (« déblocage ») des fonds d’un crédit à la consommation, avant l’écoulement du délai impératif de sept jours. L’IOB intègre cette contrainte dans le calendrier de ses diligences. Cette règle disparaîtra le 20 novembre 2026.
  • L’IOB comme tout professionnel, est tenu de mettre gratuitement à la disposition du Consommateur un dispositif de médiation de la consommation.
  • L’IOB doit démontrer que le Consommateur a effectivement reçu cette information légale.
  • L’IOB qui n’exerce pas auprès de Consommateurs (en crédit aux Professionnels, par exemple) à tout intérêt à disposer d’un dispositif de résolution alternative des différends, notamment pour les litiges inférieurs à 5.000 euros (conciliation, médiation spécifique, par exemple).
  • L’IOB en crédit à la consommation affecté y compris en regroupement de crédits, a tout intérêt à scruter méthodiquement l’ensemble de l’opération composée de la vente du bien et de son financement.
  • L’IOB est tenu de disposer d’un justificatif de la bonne délivrance de chacune de ses obligations juridiques, pour chaque Client. Ceci nécessite d’identifier exhaustivement chacune des obligations, dans tous leurs domaines, de vérifier qu’il dispose effectivement d’un support matérialisant sa délivrance et que ce justificatif est bien produit pour chaque Client, puis conservé soigneusement.
Sources juridiques en bref : Article L. 312-25 du Code de la consommation (pas de paiement avant le délai de sept jours, valide jusqu’au 20 novembre 2026) et article 6 du Code civil (nullité), Articles 1353 du Code civil et L. 221-7 du Code de la consommation (preuve de la bonne délivrance d’une obligation).

Copyright© Laurent Denis & Katarzyna Hocquerelle, 2025. Article réalisé pour le magazine « IOBETTE publié par l’IEPB. Cet article demeure la propriété intellectuelle exclusive des deux auteurs. Toute autre reproduction, diffusion ou usage qui serait non autorisé par les deux auteurs, quels que soient les supports ou les moyens utilisés, est strictement interdit et constitue un délit de contrefaçon. L’article peut être cité ainsi : « Laurent Denis & Katarzyna Hocquerelle, « SON TITRE » (voir en-tête d’article), IOBETTE de l’IEPB, année 2025. »

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