Garantie Bpifrance : attention à l’illusion de protection

Quand la Cour de cassation rappelle l’obligation d’information du prêteur — et interpelle, indirectement, toute la chaîne de l’intermédiation.

La décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 juin 2024 (n° 23-11.630, publié au Bulletin) mérite l’attention la plus sérieuse de tous les IOBSP intervenant en financement des professionnels — mais pas uniquement. Elle met en lumière une confusion fréquente dans la pratique bancaire : celle qui consiste à présenter la garantie Bpifrance comme une sécurité pour l’emprunteur, alors qu’elle est juridiquement conçue pour protéger exclusivement la banque prêteuse.

Autrement dit, cette décision rappelle que la garantie publique, pourtant perçue comme un filet de sécurité par les entrepreneurs et nombre de clients particuliers, ne garantit pas l’emprunteur, mais seulement le prêteur contre le risque de perte.

La situation à l’origine du litige

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, un chef d’entreprise avait contracté un prêt bancaire garanti par Bpifrance. Comme c’est souvent le cas dans ce type de montage, l’existence de cette garantie avait été présentée de manière relativement rassurante, laissant croire à l’emprunteur qu’elle constituait une forme de protection personnelle en cas de difficulté financière.

Lorsque l’activité de l’entreprise se dégrade, le prêt n’est plus honoré. La banque appelle la garantie Bpifrance, qui indemnise partiellement l’établissement. Mais cette indemnisation est strictement interne au rapport Bpifrance – banque : elle n’efface pas la dette du débiteur. La banque demeure titulaire de la créance à l’encontre de l’emprunteur et poursuit donc le recouvrement intégral du solde.

L’emprunteur soutient alors que la banque n’a jamais clairement expliqué la portée réelle de cette garantie. Selon lui, il croyait qu’elle constituait une protection pour lui-même, comparable à une assurance ou une caution limitant sa responsabilité.

La position de la Cour de cassation

La Cour rappelle un principe ferme : l’établissement prêteur est tenu d’une obligation d’information transparente à l’égard de l’emprunteur sur la nature exacte de la garantie mise en place.

Lorsqu’une banque fait intervenir une garantie publique telle que celle de Bpifrance, elle ne peut laisser croire — même indirectement — que cette garantie fonctionne comme une protection pour le client. Elle doit au contraire expliquer avec une totale clarté que :

  • la garantie couvre uniquement le risque de la banque,
  • qu’elle n’éteint pas la dette de l’emprunteur,
  • qu’elle n’adoucit en rien les conséquences financières d’un défaut de remboursement pour le client.

La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel et reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché si la banque avait correctement informé l’emprunteur sur la portée strictement bancaire de la garantie, ni si l’absence d’information avait pu vicier son consentement.

Par cette décision, la Haute juridiction confirme que la banque engage sa responsabilité lorsque l’information donnée au client est imprécise, ambiguë, ou susceptible de créer une illusion de protection personnelle.

Une confusion très répandue dans la pratique

Cette jurisprudence met en lumière une situation extrêmement fréquente sur le terrain.

Dans de nombreux dossiers, notamment en crédit professionnel, l’évocation de la garantie Bpifrance est utilisée comme un argument de réassurance commerciale : on présente la présence de Bpifrance comme un gage de solidité du montage, une forme de soutien étatique qui « sécurise l’opération ». C’est ici qu’il faut mettre en alerte les courtiers en crédit professionnel et leurs mandataires,  car une présentation floue entretient une ambiguïté dangereuse. Pour le client non averti, la garantie peut être perçue comme une protection contre la dette elle-même, alors qu’elle ne protège en réalité que les intérêts de la banque prêteuse.

Le consentement donné sur la base de cette confusion n’est pas un consentement pleinement éclairé.

La Cour de cassation ne condamne pas l’utilisation de garanties publiques — elles sont parfaitement licites et utiles — mais elle exige que la banque :

  • nomme clairement la réalité juridique de la garantie,
  • évite toute assimilation à une assurance ou à une protection pour l’emprunteur,
  • et s’abstienne de toute présentation valorisante trompeuse.

Ce que la jurisprudence change pour les IOBSP

Même si la décision vise directement la responsabilité du prêteur, elle concerne de fait les IOBSP en première ligne.

Ce sont souvent eux qui :

  • expliquent le montage du financement,
  • présentent la garantie Bpifrance au client,
  • traduisent les termes techniques bancaires en langage courant.

Dès lors, l’IOBSP joue un rôle déterminant dans la qualité de l’information délivrée. Une présentation approximative ou rassurante sur la garantie peut participer, même involontairement, à installer une croyance erronée chez l’emprunteur.

Le message jurisprudentiel est clair : plus le courtier simplifie son discours, plus il doit être exact juridiquement. Présenter une garantie Bpifrance comme une «sécurité pour le client» constitue désormais une formulation à proscrire.

L’IOBSP doit au contraire clairement exposer que cette garantie :

  • ne couvre pas la dette du client,
  • ne limite pas sa responsabilité,
  • ne remplace ni une assurance emprunteur ni une caution personnelle,
  • et n’intervient que pour rassurer la banque.

Une opportunité pédagogique pour la profession

Cette jurisprudence est finalement salutaire pour l’intermédiation. Elle valorise la professionnalisation du conseil et rappelle que le rôle de l’IOBSP ne se limite pas à trouver un financement, mais consiste aussi à sécuriser juridiquement le montage par une information loyale et transparente.

Dans un environnement où la conformité devient un facteur clé de reconnaissance professionnelle, cette exigence peut devenir un avantage stratégique : un IOBSP qui explique clairement les subtilités des garanties rassure davantage qu’un discours flou faussement sécurisant. Un client correctement informé est un client moins exposé aux désillusions et donc moins enclin au contentieux.

Une alerte à prendre au sérieux

L’arrêt du 12 juin 2024 constitue un véritable signal d’alerte pour les professionnels du crédit.

Il rappelle que la garantie Bpifrance n’est pas un outil de protection du client, mais un instrument de sécurisation du risque bancaire. Toute confusion entretenue à ce sujet est susceptible d’engager la responsabilité du prêteur, et indirectement celle des intermédiaires.

Pour les IOBSP, cette décision souligne une réalité souvent oubliée : le devoir de conseil commence par une information juridiquement exacte, même si cette vérité est moins “commercialement confortable”.

Dans un contexte où les parcours clients se digitalisent et où le formalisme devient de plus en plus probatoire, la clarté de l’information est désormais un pilier du professionnalisme.

Informer mieux, c’est sécuriser davantage.

Eleonor ZAMATY

Juriste à l’iepb

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